Une assemblée citoyenne mondiale sur l’immigration

Récit imaginé par Bertrand Séné, Symon, Philippe Michel, et facilité par Carole Zagouri dans le cadre de l’atelier futurs proches réalisé le 17 novembre 2022 en partenariat avec le One Planet Lab, l’EPER, Objectif Terre et le Réseau transition suisse.

Thème de l’atelier : Et si on réinventait la politique avec des assemblées citoyennes


John Andrews relisait pour la troisième fois le même rapport estampillé du logo en relief ONU. Sa journée avait pourtant bien commencé, dans une routine impeccable. Levé à 6h00, jogging, douche, costume sombre, chemise blanche, chauffeur qui l’attendait au bas de son immeuble. Le trajet durait 12 minutes jusqu’à son bureau. Parfois plus si les taxis new-yorkais semaient la zizanie sur les artères. Il avait le temps de lire les nouvelles du matin et les rapports qui alimenteraient les prochaines séances matinales. la première fois, il avait lu rapidement le compte rendu et faillit s’étrangler. Après deux lectures supplémentaires, il sentait sa cravate l’asphyxier et ses tempes battre. Encore et toujours ces rapports de force !

A Genève, se tenait l’Assemblée Mondiale des Citoyens. Ce n’était pas la première édition. Par contre c’était la première fois qu’elle se déroulait dans l’éco-village ONUEX. Ses habitants s’étaient non seulement réapproprié l’ancien siège des Nations Unies, mais ils avaient également réutilisé les lettre d’or en y ajoutant – EX pour forger leur nom. Voilà près d’une décennie que le siège principal se trouvait à New-York où John Andrews était le meilleur et le plus expérimenté des secrétaires généraux. Le site genevois accueillait depuis ce même temps le premier éco-village indépendant de tout Etat, Pays ou Principauté. Les parcs de l’Ariana qui fleurissaient autour des bâtiments étaient désormais des horizons de permaculture. Les immeubles accueillaient de nombreux sommets ou célébrations, comme cette année pour l’Assemblée Mondiale des Citoyens. Le sujet principal était la question des migrants.

C’en était trop pour John et toute l’administration qu’il représentait ! C’était son cheval de bataille depuis des lustres, alors qu’il était déjà conseiller à la sécurité nationale sous l’ère Bush. Il fallait qu’il traite cette affaire au plus vite. Une indication à son chauffeur et ils prirent la direction de l’aéroport. Le jet était constamment prêt au départ. En quelques heures il serait à Genève.

C’est la soirée au village au bord du lac Léman. Il y a plusieurs tentes. Il y a un grand feu qui crée un point de rassemblement entre les tente

John s’assoit dans une tente avec Ivana. Il se rend compte que tout le monde utilise un appareil de traduction simultanée, il comprend donc tout le monde, il commence à papoter avec les gens autour de lui avec une aise qui n’est pas possible avec un interprète.. Il rencontre des personnes qui sont venues en bateau, des personnes qui ont survécu des naufrages pour être là, des personnes qui connaissent bien les réalités de la migration .. mais l’ambiance n’est pas encore sur ce thème, c’est sur la rencontre de l’autre. Du partage des rêves, de la gratitude, de leurs peines, de leurs visions pour le futur. Les tentes ont des facilitateurs.trices qui aident à guider les discussions dans ce sens. Ivana fait partie de l’équipe de la tente de la convivialité.. ils expérimentent des pratiques pour créer du lien malgré les fortes pressions sociales et économiques de 2030 – de retrouver l’humain derrière les flux, les statistiques, la compétition.

C’est au bord du feu que John rencontre pour la 1ere fois Vipulan. Sans connaitre son nom.

« Alors c’est vrai que ça change un peu de l’ambiance à New York. J’ai l’impression d’avoir atterri dans une fête qui me rappelle les idées de mon père.. il y a un côté idéaliste à tout ça » dit John.
« Tu trouves que ce n’est pas très sérieux ce qu’il se passe? » dit Vipulan
« Je trouve ça plus humain! mais comment passer aux choses plus sérieuxes que la fête, cette soirée du style journée internationale. comment passer au concret ? » demande John.

« tu m’a dit que tu es arrivé en avion. Je suis venu ici à pied »lui dit Vipulan
« de la gare Cornavin? » lui demande John, surpris.
« De mon pays! Je suis venu à pied car mon village, et la plupart de mon Etat est sous l’eau » lui répond Vipulan .
« Attend. Mais, à pied tu dit? Comment tu as fait pour passer L’Iran? La Russie? Ou encore la Bulgarie?  » s’étonne John.

Sur ce arrive Ivana : « Ah John, je te cherchais, viens vers la tente, on va commencer une pratique que tu vas certainement trouver intéressante ».

Le lendemain matin, John se réveille la tête remplie des échanges passionnants qu’il a eus la veille au soir avec toutes ces femmes et ces hommes venus du monde entier et qui pour certains lui ont raconté leurs histoires de migration.

Il a hâte de découvrir maintenant comment cette fameuse assemblée citoyenne mondiale va traiter le problème des migrants. C’est Vipulan qui vient le chercher à l’entrée de son hôtel ce matin et qui va le conduire dans la grande salle où se rassemble l’assemblée citoyenne mondiale. En arrivant, il se rend compte que les participants, qui ont été tirés au sort parmi les 8 milliards d’êtres humains, semblent se connaître depuis longtemps, comme s’ils étaient de vieux amis, et qu’ils rigolent ensemble. Il fait part de son étonnement à Vipulan qui lui apprend qu’ils vivent tous ensemble depuis 2 mois dans l’écovillage pour générer le sentiment qu’ils appartiennent tous à la même Humanité. « Car le sentiment d’être étrangers les uns par rapport aux autres naît d’une méconnaissance. Dès qu’on apprend à se connaître, ce sentiment disparaît » dit Vipulan.

Quelques minutes plus tard, quelques notes de musique se font entendre, puis c’est un orchestre en entier et chaque participant rejoint sa place. Vipulan propose alors à John de s’asseoir à côté de lui. Après l’orchestre, c’est un long silence qui introduit la nouvelle session de l’Assemblée. Aujourd’hui, on s’occupe du continent africain. Des sous-groupes ont établi les migrations en cours, liées à des conflits ou aux changements climatiques et il s’agit maintenant d’établir qui est prêt à les accueillir dans les meilleures conditions possibles. L’idée n’est pas de refuser en fonction de peurs infondées mais de dire honnêtement ce qui est possible en terme d’accueil. Et étonnement, après avoir honnêtement travaillé le sujet avec des experts, la plupart des représentants des pays se montrent très généreux tout en étant très réalistes sur les capacités d’accueil.

John est stupéfait de ce qui se déroule ici. Des décennies de blocages sur ce sujet à l’ONU et une telle fluidité ici. Décidément, les assemblées citoyennes sont promises à un grand avenir.