Un entretien

Récit imaginé par Léa, Serge, Nazanine et Matéo et facilité par Marie-Luce dans le cadre l’atelier futurs proches réalisé le 23 août 2021 en partenariat avec le Lab BPI

Thème de l’atelier : Et si en 2041, la place du travail et de l’entreprise dans la société étaient radicalement différentes de celle de 2021 ? 


En ce beau jour de printemps un peu tardif d’octobre, Léa est un peu fébrile à l’approche de son rendez-vous avec son nouveau client, si important pour enrichir son réseau professionnel. Malgré sa petite stature, elle reste déterminée. Comme tous les matins, ses deux enfants ont fait preuve d’autonomie et se préparent sans l’aide de Léa. Pendant qu’ils prennent leur petit-déjeuner, elle en profite pour prendre son violon et entamer son morceau préféré. Quand tout le monde est prêt, Léa prend son vélo pour rejoindre la gare la plus proche. Elle apprécie énormément ce trajet. Il lui permet de se dépenser avant sa journée de travail. Chemin faisant, tout en profitant des pistes cyclables protégées aménagées tout autour de la ville et qui vont maintenant jusqu’à la gare, elle rêve au nouvel équilibre entre son temps de travail et son temps libre. Elle embarque son vélo dans le nouveau train à hydrogène pour se rendre au centre-ville.

En général, Léa se rend en centre-ville, dans un espace de coworking mis à disposition gratuitement par la collectivité. Les espaces de coworking se sont développés à vitesse grand V ces dernières années et ils proposent aujourd’hui des services et prestations que l’on peut retrouver traditionnellement dans les bureaux d’une entreprise : machines à café, bureaux tout équipés, chaise ergonomiques… Léa apprécie particulièrement cet endroit. Même s’il lui arrive de rester travailler chez elle, cet espace de coworking lui permet de se retrouver dans un environnement propice au travail et à la créativité : de grandes baies vitrées rendant les pièces lumineuses, de la végétation, des espaces de repos, le tout dans une ambiance décontractée mais studieuse. Cet espace organise aussi des ateliers divers et variés afin de promouvoir le partage de connaissance. Cela peut être des cours de jardinage comme des cours de finance (responsable évidemment car la finance telle qu’on la connaissait n’existe plus) ou encore des cours de danse. Par ailleurs, cette structure de coworking promeut l’insertion professionnelle pour les personnes ayant un accès moins évident au travail. Heureusement, aujourd’hui, les entreprises sont davantage inclusives qu’il y a quelques années et les personnes handicapées ou les personnes issus de milieux sociaux moins aisés ont tout autant de chance d’accéder à la carrière et l’entreprise de leurs rêves. Bénévolement, Léa anime des ateliers afin de partager ses connaissances sur l’intelligence artificielle et la robotisation, compétences devenues clés pour évoluer dans le monde de 2041.

Mais aujourd’hui, Léa ne se rend pas sur son lieu habituel de coworking. En effet, elle a été rappelée par une entreprise pour une mission de conseil de plusieurs mois. Même si elle apprécie toujours de rencontrer de nouveaux clients et travailler sur de nouvelles missions, elle appréhende particulièrement cet entretien, l’entreprise n’étant pas connue pour être la plus ouverte sur ses pratiques managériales. Malgré ce bémol de taille, Léa a tout de même décidé de laisser sa chance à l’entreprise en acceptant l’entretien, préférant voir que croire.

Arrivée devant chez ce nouveau client, elle cherche mais ne trouve pas de parking à vélo. Pourtant, ils sont devenus obligatoires depuis la loi « Gluzman » de 2035. Scandalisée, Léa décide de poser son vélo devant l’entrée et d’en parler pendant son entretien. La hauteur de la tour de bureau la choque d’emblée. En traversant les couloirs de l’entreprise, elle remarque l’atmosphère triste des bureaux et l’absence de vie et de convivialité. Elle prend l’ascenseur jusqu’au 30ème étage. La secrétaire qui la reçoit semble sortir des années 2000. Malgré ce cadre anxiogène, l’entretien se passe bien. Léa aperçoit toutes les opportunités professionnelles qu’elle pourrait retirer de ce contrat de consultant.

A la sortie de l’entretien, elle arrive à la réflexion suivante : le sujet lui plaît, l’enjeu est intéressant, mais les conditions de travail sont en total désaccord avec ses propres valeurs. Léa sait qu’elle sera discriminée et potentiellement éliminée du processus de recrutement. Cette structure lui rappelle le mode de fonctionnement des entreprises dans les années 2000/2010, où il fallait travailler de nombreuses d’heures par semaine pour témoigner de son implication et de son sérieux dans son travail, bien que cela ne soit pas forcément synonyme de productivité. En somme, Léa se connaît elle-même ainsi que sa manière de travailler, elle sait si un environnement professionnel lui convient ou pas. Par exemple, elle n’apprécie pas de rester des heures derrière son ordinateur. Parfois, pour mieux réfléchir, elle aime prendre une pause et aller se balader afin de trouver de nouvelles idées. Or, le peu de temps de pause accordée et les horaires peu flexibles imposés par l’entreprise l’empêcheraient de quitter son poste trop longtemps et ainsi de laisser libre cours à sa créativité. Enfin, élément primordial pour Léa, il faut qu’elle ait la possibilité de séparer vie professionnelle et vie personnelle : pour faire du sport, pour s’occuper de ses enfants, pour jouer du violon, pour animer les ateliers d’insertion professionnels qui lui tiennent tant à cœur. Pour cette raison précise, elle se doit d’imposer ses conditions. Ces clients cherchent une personne qui s’adapte à eux, au point de se sacrifier. Cependant, elle sait que le marché du travail lui est favorable et qu’elle peut faire appel à une instance supérieure, dans le but d’obliger l’entreprise à cesser d’imposer des conditions de travail en désaccord avec le sens éthique de Léa

Cependant, Léa n’est pas seule. La société a évolué et les enjeux concernant l’éthique des travailleurs ont été saisis, et adaptés dans la loi. Il existe désormais un système de « checks and balances ». Léa pourra faire appel à la Grande Instance des Entreprises Européennes. C’est un organisme qui est respecté à la fois par les travailleurs, les dirigeants et les régulateurs, pour faire évoluer les conditions de travail. Par ailleurs, elle sait qu’elle peut trouver du soutien à un niveau plus local, notamment au sein de l’espace de coworking où elle se rend très régulièrement. Aujourd’hui, les mentalités ont évolué et la majorité de la société s’accorde pour dire que le lieu de travail doit être un facteur d’accomplissement de soi et d’épanouissement avant tout. Léa a espoir que l’entreprise où elle a passé son entretien pourra évoluer vers une structure davantage bienveillante, et ce, sous le regard des pouvoirs publics et avec l’aide des collaborateurs internes.

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