Sur la route d’Ychoux

Récit imaginé par Fanny Bronès, Iblis Le Guen, Soraya Brahimi, Théo Albert et facilité par Hélène Chesnel dans le cadre de l’atelier futurs proches réalisé le 24 novembre 2022.

Thème de l’atelier : « Et si la décroissance était notre quotidien ? Nous sommes en 2039. La mobilité est fortement contrainte. Dans ce contexte…. »


Le feu avait été allumé au centre de la place du village, en cette douce soirée de mai, plus pour la convivialité que par réel besoin de se réchauffer. Tous les habitants d’Ychoux étaient déjà installés en cercle, petits et grands ensemble, dans un joyeux brouhaha de conversations et de rires. Je sentais l’excitation dans l’air, cette atmosphère d’attente que je retrouve dans chaque village, à chacun de nos arrêts, pour écouter les récits du reste du monde. La cheffe du village nous fit signe de nous installer, sur le banc qui avait été laissé libre à notre intention. Un pichet d’un breuvage artisanal circulait de mains en mains, l’homme à côté nous tendit des gobelets en grès émaillé. Le silence se fit peu à peu naturellement, pour laisser des sourires sur les visages remplis d’attente. Nous nous présentâmes à ceux qui ne nous connaissaient pas encore et qui avaient seulement entendu parler de nous : le couple nomade se déplaçant de village en village dans leur Tiny autonome, transportant des histoires, des lettres, de objets de récup, des plantes et des soins, créant du lien entre les communautés de l’ancienne Nouvelle Aquitaine. Nous échangeâmes ensuite les nouvelles les plus importantes, celles que nous faisions circuler immuablement de village en village, puis vint le moment des histoires, celles que tous préfèrent et qui nourrissent les imaginaires bien après notre départ. 

« Je vais vous raconter une histoire incroyable qui nous est arrivée après notre départ de Labouheyre. Comme vous le savez, l’ancienne autoroute A63 passe juste à côté et nous avons emprunté le pont qui l’enjambait. 

Soudainement, un Jet ultra rapide déchira le ciel et fracassa le silence habituel et tant apprécié. J’ai pensé : « Un JET ?! Cela fait longtemps que je n’en ai pas vu ! On dirait qu’il se dirige vers nous ! Mais oui c’est bien cela ! ». J’ai à peine eu le temps de comprendre ce qui se passait que le jet se posa sur l’aire de repos de Labouheyre-Est. Nous décidâmes alors de dévier de notre chemin pour aller voir ce qui se passait.

Vous ne devinerez jamais, mais jamais qui est sorti de ce jet  : Cyril Hanouna ! Il était en direction de Dubaï pour donner naissance à son enfant. Son avion avait un souci technique, et il a dû se poser en urgence sur la route.

Je me suis approchée de l’avion et j’ai croisé le regard de la femme de Cyril, qui entre deux contractions, me tendit la main.

Cyril nous dit alors : « Bon, mes chéris, c’est bien mignon votre accueil médiéval, mais là, ma doudou doit accoucher dans le meilleur hôpital de Dubaï et ici, c’est plutôt Bagdad. Je n’arrive pas à joindre mon mécano, on capte R ici. Y’a un centre hospitalier à proximité ? »

Je lui répondis :  « Cyril, je crois que vous n’êtes pas sorti de votre bunker depuis un moment…. Les accouchements ne se font plus dans les hôpitaux depuis au moins 2035. Ce sont des doulas, présentes dans des îlots de vie, qui accompagnent les futures mamans à leur domicile. » 

Un hurlement interrompit alors notre discussion : « CYYYYYRIIIIIL !!!!! »

C’était la femme du troubadour des années 20 qui commençait à perdre les eaux.

« – Non mais ma doudou, on va y aller, t’inquiète pas ! 

– Vous croyez vraiment que votre femme va arriver jusqu’à Dubaï ?! Elle est en train d’accoucher, là ! 

– Vous êtes sérieuse ? Vous croyez vraiment que ma doudou va accoucher sur cette aire d’autoroute ?! 

À peine ai-je eu prononcé cette phrase, que sa femme déboula de l’avion en hurlant : « Mon Dieuuu ! Je vais accoucher iciiii ! 

J’ai couru auprès d’elle et l’ai accompagnée dans notre tiny afin de procéder en douceur à l’accouchement.

Quand les cris du nouveau-né ont retenti, Cyril se mit à pleurer de joie et s’exclama  » P’tain j’ai oublié de filmer ça ! » 

Ni une ni deux, il courut dans l’avion et quelques minutes après, il sortit de l’avion en trombe sur un quad, son portable à la main.- Hello mes petits chéris, je vous l’avais dit, j’ai trouvé une solution. Je suis un ouf ! Haha. Bon là, truc de ouf, il y a ma femme qui vient d’accoucher au milieu de nulle part. Heureusement, on est tombés sur une femme incroyable, elle s’appelle Rose, et j’aimerais vraiment beaucoup la remercier devant vous, parce que… Et merde, plus de réseau !  En s’adressant à moi, il tempêta: « J’espère que c’est bientôt fini votre truc, là, parce que nous, on va aller voir des vrais médecins en ville pour s’occuper du bébé et organiser une darkha pour sa naissance. Putain c’est trop con là, j’avais un super sujet, mais on capte rien dans ce coin paumé ! ».

De rage, il envoya son pied cogner contre le poteau rouillé de l’ancienne station Total. Dans un grincement atroce, il regarda avec stupéfaction le grand logo « Te » multicolore se détacher lentement et tomber sur son jet. Crac. En plein sur le cockpit. Heureusement que le pilote était sorti fumer une clope !

À ce moment, toutes ses séances d’UV furent réduites à néant par la blancheur livide de son visage. Il ne pouvait même plus crier. Choqué, il remonta sur son quad et cria à sa femme de le rejoindre : « DOUDOU MONTE ! On retourne à la civilisation, j’en peux plus des bobos! »