21 Mar Rider dans un monde décarbonné
Récit imaginé par Agathe ALIBERT, Philippe METRAL et Erwan PROTO et facilité par Carole ZAGOURI dans le cadre l’atelier futurs proches réalisé le 21 mars 2022 en partenariat avec l’ADEME
Thème de l’atelier : Et si en 2050, la France était neutre en carbone ? Quel serait le quotidien de ses habitants, dans une France qui a choisi de développer les coopérations territoriales pour atteindre cet objectif (scénario 2) ?
Fin d’après-midi, une route dans les Cévennes : Marguerite voit arriver au loin une moto, qu’elle n’entend pas encore.
Marguerite, c’est la vache de Bertrand, l’agriculteur de l’exploitation au bord de la route. Quand elle était plus jeune, elle détestait ça, les motos, enfin ces trucs à deux roues, là, les humains disent motos pour en parler. Aujourd’hui, ça a changé : elle aime bien les regarder passer. Ben oui, parce qu’aujourd’hui, elle n’a plus l’impression d’entendre voler un avion en rase-motte quand une moto longe son pré. Parait que ça s’appelle l’électricité. Électricité ou pas, ce qui lui importe à Marguerite, c’est que ses oreilles sont enfin en paix.
Tiens, la moto ralentit, en passant devant elle. Oui, elle en est consciente Marguerite, elle a du style ; ça impressionne. Les deux personnes sur la moto doivent être en train de l’admirer. Héhé. Matez ces belles taches brunes. Ça court pas les prés hein ? Et ces cornes, vous les voyez ces… euh… ah non, tiens, ils ne lui ont pas jeté un regard en passant devant elle. Pff, ignorants va. Y en a qui ne savent pas reconnaître la classe quand elle est juste devant leur nez…
Ils s’arrêtent. Ils descendent de la moto. Ils vont revenir pour dire bonjour à Marguerite ? Il n’est pas encore trop tard pour se racheter… Non même pas, ils se dirigent vers Lucy. Allez au diable.
Lucy, c’est la collègue de Marguerite. Enfin, c’est une humaine, elle ; elle travaille à la ferme. Elle est « co-fer-mière » ; elle travaille avec Bertrand, mais pas tout le temps, juste le mardi, et quelques fois le mercredi, enfin c’est elle qui gère son planning toute seule hein, Marguerite elle a autre chose à faire. Une femme et un homme sont descendus de la moto, Lucy les a aperçus, elle se dirige à leur rencontre ; la conversation s’engage.
Ils s’appellent Jean-Patrick et Camille apparemment, et ils auraient besoin d’un petit « coup de jus », si vous voyez ce que je veux dire… batterie faible. Lucy leur propose de recharger leur batterie à la « La Co-Ferme Bleue », à 500 mètres à droite, où ils seront bien reçus par ses collègues.
- « Mais qu’est-ce qu’une co-ferme »? demande Jean-Patrick.
- « Tu ne connais pas le concept de co-ferme ? lui répond Lucy. » Les fermes sont devenues des coopératives pour répondre au départ des agriculteurs à la retraite et à la grande pénurie des métiers de l’agroalimentaire dans les années 2025-2035. Mutualisation des équipements agricoles, partage des tâches entre les fermiers d’une même parcelle cultivable : le métier de co-fermier est beaucoup moins stressant qu’il n’était avant. Les co-fermiers se relaient, peuvent prendre des vacances pour se ressourcer, négocient des accords de commerce équitable avec les distributeurs. Les co-fermiers se soutiennent financièrement et sont soutenus également par les habitants qui ont pris la mesure de leur utilité. Beaucoup de néo-ruraux, fuyant les villes , viennent d’ailleurs prêter main forte à cette nouvelle forme d’agriculture… ce sont surtout des jeunes, et grâce à eux on peut manger des produits sains et du territoire «
Jean-Patrick et Camille décident de s’y arrêter et passent le temps de la charge à visiter la co-ferme avec Bertrand, avec qui le courant passe tout de suite (sans mauvais jeu de mot 🙂 ). Lui aussi a été motard et il se souviennent ensemble de la galère des années « quotas ».
« Ah oui je me souviens, dit Jean-Patrick, avec le texte imposé par l’Etat sur les véhicules à forte émission de CO2, J’étais rarement serein. J’étais obligé de payer une taxe supplémentaire pour chaque dépassement de seuil autorisé de carburant avec ma moto.
Camille renchérit : « Tu te rappelles la tirade qui tu m’avais faite lors de notre rencontre? je m’en souviens comme si c’était hier ». « Evidemment, qu’une moto ce n’est pas écolo ! Ils veulent que ma moto crache des fleurs par le pot d’échappement ou quoi ? Alors oui, l’écologie tout ça, c’est bien, mais moi j’ai besoin de rider, c’est mon oxygène, c’est vital. Comment je fais-moi, pour apprécier les beaux paysages de mes Cévennes natales, voir du haut de la montagne le Gardon, alors, si je ne peux pas utiliser ma moto ? «
J-P : « c’est vrai que je n’étais pas très sensibilisé aux problématiques environnementales. Je vivais ça comme une entrave à ma liberté : la slow life, l’injonction à ralentir, … Ce n’était pas mon truc. J’étais plutôt du genre vitesse, sensations, vertiges. Mais tu m’as dit que tu ne m’accompagnerais que lorsque j’aurais pris conscience que je ne pouvais pas continuer ainsi, et tu m’as trainé à ton fichu atelier « 2 tonnes » !
Bertrand les chambre un peu… « Tu vois qu’un motard peut aussi trouver son compte dans la coopération! ».
Un peu plus tard, de nouveau sur la route :
C’était le bon créneau, la journée idéale pour un ride inspiré, la découverte de nouveaux espaces, humer de nouvelles senteurs, être présent à toutes ces sensations inconnues.
Jean Patrick et Camille sillonnent cette nature accueillante, un peu de vent dans le casque. Le silence du véhicule préserve la quiétude des hameaux traversés.
Camille apprécie le confort et la discrétion de la nouvelle monture de Jean Patrick.
Pour lui, les bruits mécaniques sont relégués en amnésie, reliques d’une adolescence tumultueuse. Faire du bruit c’est se faire remarquer, lui préfère aujourd’hui la discrétion et le plaisir de piloter. Il a réalisé sa révolution « verte » après des années d’insouciance.
Le défi de la douce Camille l’a incité et convaincu de reconsidérer sa pratique de la moto.
Pour la bière et le rock, c’est un autre chapitre, négociable ; assurer la sécurité nécessite des choix, c’est un motard sobre, sa pratique requiert d’être vigilant, présent à l’instant.
Ils ont fait halte selon leur désir, embrassé du regard la beauté de cette nature.
Des rencontres inattendues ont ponctué ce premier voyage initiatique à deux, riche d’échanges, partages et sensations. Camille a découvert qu’elle peut à la fois être actrice et passager, la nécessité d’accorder sa confiance au pilote, accompagner ses mouvements, être dans l’instant juste de cette complicité fluide, présence aux éléments.
Ils ont tracé de joyeuses courbes graciles sur les sinueuses routes Cévenoles.
Ils se sont accordés le temps du doute nécessaire, celui qui demande à chacun d’examiner et dépasser ses propres croyances limitantes ; puis alors, découvrir de joyeux possibles fertiles.
Jean Patrick s’étonne de sa facile conversion à la moto électrique. Le silence, il apprécie.
Camille se réjouit déjà de la prochaine sortie, elle songe à leur prochaine destination.
Le vrai voyage commence maintenant pour ces deux nouveaux convertis volontaires.
Souhaitons-leur de traverser l’existence avec cette énergie, ce même désir complice, cet appétit de vivre autrement la réalité de l’ici et du maintenant.