Retour à Morges

Récit imaginé par Alexandre Champendal, Catherine Streiff Michaud, Chloé Allémann, Christine Dubochet, Loraine Michaud Champendal, et facilité par Cédric Liardet dans le cadre de l’atelier futurs proches réalisé le 13 novembre 2022 pour Morges et Région en Transition.

Thème de l’atelier : « Et si Morges et région adoptait une politique de post-croissance ? »


Ce jour-là, je débarque dans ma ville chérie après une très longue absence. Je retrouve ma ville, les quais, le bord du lac, la galère, le soleil qui fait pétiller les vagues, le parc de Vertou. C’est Morges, je reconnais le clocher du temple et pourtant c’est tellement différent. Les dahlias sont encore là mais tout autour poussent des légumes, des fruits. Tiens, un troupeau de moutons, même des poules. Et tout a l’air si paisible. Tout a changé et pourtant tout est là.

Ah tiens, un groupe de jeunes là-bas. Je vais leur poser des questions. Ils me sourient, m’invitent du regard à prendre place, mais je vois que ce n’est pas le moment de les interrompre. Ils sont rassemblés en cercle et ils discutent. Manifestement c’est une réunion sérieuse. Ils parlent à tour de rôle, des décisions se prennent. Ils semblent suivre une procédure précise. Les sujets ont l’air d’être terre à terre : la gestion des troupeaux et des jardins, le partage des récoltes, mais aussi un différend entre certains d’entre eux. Personne ne mobilise la parole, pas de véhémence ? Ca force le respect !

A la fin de leurs négociations, je leur dis mon étonnement devant tant de savoir-faire, de bienveillance et de maturité. A leur tour, ils ont l’air surpris par ma réaction, tant cela leur semble naturel. Ils m’expliquent que dans leur enfance, ils ont appris à fonctionner en groupes de paroles, les objectifs étant de développer le lien à soi-même, aux autres et à la nature. Leurs parents et guides leur ont appris à écouter leurs besoins et ceux des autres, à prendre des décisions et à respecter les autres. Depuis tout petits, ils ont commencé leur journée par un groupe de paroles, où ils se posaient des questions sur la vie, sur leurs relations avec leurs camarades. Ils ont appris à gérer les conflits, à réfléchir sur le sens qu’ils voulaient donner à leur vie, sur ce qu’ils pouvaient apporter au groupe et en recevoir, comment ils pouvaient s’engager pour la communauté.

Je demande à m’installer auprès d’eux. A peine ai-je commencé à m’intégrer avec grand bonheur à ces nouveaux Morgiens que surgit une épidémie puis une épouvantable famine. Tout le monde est éprouvé, mais les plus de 60 ans sont si affaiblis qu’ils décèdent les uns après les autres. La société est terriblement affaiblie, amputée de ses aînés.

L’épidémie déstabilise complètement la société post-croissance. Le cœur est lourd de chagrin et d’angoisses. Les personnes, les instances qui ont créé les structures mises en place disparaissent. Les repères sociétaux tombent, le chaos s’installe. La jeune génération survivante est confrontée à une crise affective, organisationnelle et structurelle sans précédent. Elle doit se réinventer pour tout recréer.

Après plusieurs mois d’un chaos que ces jeunes n’ont certainement jamais imaginé, je vois qu’ils réussissent pourtant à se relever. Etonnamment l’éducation reçue au « vivre ensemble de manière durable » leur permet de relever cet immense défi. J’ai tout à apprendre d’eux : vivre très sobrement, partager la nourriture produite, les biens à disposition, fêter chaque progrès. Nous sommes pauvres mais riches de joies et de victoires partagées.