16 Avr Reflexions pour la route…
Récit imaginé par Marie Luce Storme, Olivia Gloux, Jérémie Sultan et Hermeline Sangouard, lors de la soirée futurs proches consacrée à l’après-coronavirus, le 16 avril 2020.
Mon enfant, ta lettre est arrivée ce matin juste pour fêter les 10 ans de la fin du confinement et je me réjouis de te voir dans les prochains mois.
Pour répondre à tes questions, il est vrai que le quotidien a bien changé depuis cet arrêt brutal dans nos vies il y a maintenant 10 ans. D’ailleurs à l’époque, je n’aurais pas envisagé prendre la plume pour te répondre ! Tu te rappelles de WhatsApp et des mails qu’on envoyait à tes instituteurs et institutrices ? C’était simple, rapide… par contre, la consommation d’énergie était terrible. Nous sommes revenus au papier et au crayon… un plaisir!
Le temps a pris une autre valeur ces dernières années. Beaucoup de choses ont changé pour nous et autour de nous. Nos grands-parents traversaient la France en 1 jour, et ma génération traversait le monde en 24 heures. Les réseaux sociaux ont aussi contribué à nous rendre présents, disponibles, ultra-connectés – pour le travail, mais aussi les amis et la famille. Comme si la distance était gommée par ces artifices. Oh bien sûr, il y a des avantages à ces outils. Maintenant que nous sommes limités à 5 gigas de données par an, on a appris à utiliser ces ressources différemment. J’utilise d’ailleurs ce crédit pour me perfectionner en permaculture sur le web.
Depuis le confinement et les mouvements qui suivirent, les règles du jeu ont changé. Il a fallu du temps et de l’engagement, mais depuis 7 ans, les déplacements sont également beaucoup plus contrôlés. Plus le droit d’aller passer 3 jours en WE à l’autre bout du monde, plus possible d’aller faire un séminaire de quelques heures à l’étranger. La boulimie de bougeotte est terminée. Enfin les avantages du télé-travail révélés au grand jour lors du confinement (pour les privilégiés qui pouvaient en bénéficier) ont redéfini la manière d’habiter les territoires. Les gens se sont enfin rendu compte qu’en habitant au vert on avait subitement moins envie d’aller voir dans le pré du voisin… Tout ça pour te dire que si aujourd’hui tu dois prendre la moitié de l’année pour venir nous visiter c’est une très bonne nouvelle même si je trépigne de te voir ici.
Tu verras comment tes grands-parents ont commencé une nouvelle vie suite à l’effondrement du système scolaire partout dans le pays. Ces dernières années ont glissé sur eux et tu les trouveras plus en forme que tu ne les as quittés il y a dix ans. Ton grand-père a investi notre cuisine pour enseigner ses meilleures recettes aux enfants du quartier. Il en profite pour leur inculquer des bases de calcul et d’écriture. Tout cela se finit souvent par des fous rires, les mains dans la pâte et de la farine dans les cheveux. Ta grand-mère quant à elle passe ses après-midis dans le jardins en compagnie des pires garnements du quartier et leur apprend tout ce qu’elle sait sur les plantes. Elle a réussi à canaliser leur énergie et nous avons maintenant 6 hectares de légumes bio, cultivés selon les règles de l’art de la permaculture, qui nourrissent des dizaines de familles et fournissent le restaurant coopératif du coin de la rue. Ça paraît presque fou mais en fait, c’est comme ça dans tous les quartiers de Melbourne. Tu vas trouver la ville bien changée, la végétation est luxuriante et le soleil ne nous brûle plus la peau.
Je profite d’ailleurs de cette journée ensoleillée pour t’écrire du jardin collectif du coin de la rue. C’est vraiment agréable de pouvoir désormais choisir quand je vais au bureau ou pas, quand je travaille de la maison ou quand je suis en congé. Chacun peut vivre à son rythme en respectant les échéances et les moments de partage avec ses collègues. C’est beaucoup moins stressant et je trouve que je suis bien plus efficace. Tu me connais, je n’aime pas les matins… Du coup, je ne vais au bureau qu’à partir de 13h. Le matin c’est pour moi. Je lis, je fais du sport, je jardine. L’après midi, je bosse et je termine vers 21h.
J’espère que mes souvenirs de ces années de transition ne te dissuaderont pas de prendre la route avec ton vélo pour ces 6 mois de voyage pour nous rejoindre
Ta mère qui t’aime