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22 Nov Rallumer le feu
Récit imaginé par Anne-Laure Gauthier, Edith Choumiloff, Laure Baudin, Marie-Laure Tridon et facilité par Delphine Bondran dans le cadre l’atelier futurs proches réalisé le 22 novembre 2024 dans le cadre du Mois de l’Innovation Publique en Bourgogne Franche-Comté
Thème de l’atelier : Et si en 2050, les restrictions énergétiques rythmaient nos vies et notre travail ?
Je m’appelle Léame. J’ai quinze ans, j’habite à Dijon.
J’écris mon journal de bord.
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23 juin 2050, place de la Rép’ des sens
Je me rends sur cette place pour la cuisson des pains des familles du quartier dans le Blabla four solaire. C’est mon tour chaque lundi. Quand le soleil est au zénith, c’est moi qui assume cette tâche.
Pfff… J’ai toujours ce foutu eczéma qui démange grave.
J’aimerais bien comprendre ce qui m’arrive.
11h30
Les familles commencent à affluer sur cette place forêt. C’est un lieu frais, animé, où chacun vient aider à entretenir nos carrés potagers, notre forêt comestible, nos poules et nos lapins.
Au centre de la place, il y a ce four immense, solaire, où les familles du quartier se retrouvent pour la grande cuisson collective.
C’est toujours pour moi un moment de stress et de joie aussi.
Stress, car le four doit être prêt, et joie de rencontrer les habitants et mes amis.
J’y croise souvent aussi Maëlle, la leader du quartier Darcy…
Elle m’impressionne.
12h
Le stress monte. Je ne comprends pas ce qui se passe avec le four. Y a moins d’énergie et j’ai l’impression que le jour tombe déjà.
J’me gratte au sang.
00h30
Après ma journée sur la place et ma soirée avec mes potes, je rentre en vélo chez mes parents. Cette journée était dingue : le soleil s’est couché super tôt alors qu’on est au mois de juin.
Sur le chemin du retour, j’entends beaucoup de voisins discuter ensemble. Ils paraissent inquiets… Je saisis pas trop le sens de ce qu’ils disent.
Je suis claquée et même si Céline, la voisine est dehors, j’lui pose pas de question.
Il fait très chaud. J’prends vite fait ma douche solaire, j’applique ma crème pour l’eczéma et j’me couche.
Mon réveil sonne exactement dans six heures trente deux minutes. Ah… Ca va piquer !
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24 juin 2050
6h32
Mon réveil sonne, j’essaie d’ouvrir les yeux… Dur, dur..
J’sors de mon lit… Pouha, encore plus DUR !
J’arrive quand même à me lever, j’ouvre les volets, il fait noir.
Je comprends rien….
Ca me gratte ce matin ! Je me prépare pour retourner sur la place de la Rép et je me dépêche parce qu’avec ce bordel, j’suis en retard pour commencer mon tour à huit heures quinze.
Ahalala mais ça me gratte vraiment ce matin !
Sur le chemin. J’entends des bouts de conversation. Tout le monde est affolé « Solstice », catastrophe, dinguerie… »
Il fait toujours noir.
J’arrive sur la place de la Rép des Sens. La seule source de lumière est le Blabla four.
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25 juin 2050
L’affolement général est palpable partout dans les rues. Tout le monde sait maintenant qu’il y a eu une éclipse et on ne sait pas pourquoi elle perdure sans arrêt.
Les gens qui s’étaient au départ réunis sur la place de la Rép des Sens commencent à se cloîtrer chez eux et à attendre sans savoir quand le soleil reviendra.
Je pense à la merveilleuse Maëlle, de qui je n’ai pas de nouvelles, et je me demande comment les choses se passent place Darcy…
Si ça se trouve, elle a pris son courage à deux mains et organiser une mise en commun des ressources pour les rationner et les distribuer équitablement chaque jour.
Cette pensée m’obsède et je finis par décider d’en parler à ma mère.
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29 juin 2050
Je reviens du comité de quartier d’urgence constitué avec l’aide de ma mère et de nos voisins. Grâce à l’électricité des batteries et à l’énergie éolienne, nous avons réussi à maintenir les activités essentielles, mais les batteries, s’épuiseront dans trois jours à ce rythme… et toujours pas de soleil…
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3 juillet 2050
Non seulement les batteries sont vides, mais le vent est tombé. Nous n’avons donc plus d’électricité.
J’ai la trouille et mon eczéma empire, mais le comité de quartier continue de se réunir chaque jour et les gens sont solidaires entre eux.
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5 juillet 2050
Face à la pénurie d’énergie, j’ai pris la décision de partir à la recherche de Maëlle pour tenter de trouver une solution commune.
Après une heure d’errance dans les rues, un ami m’a indiqué où je pourrais la trouver, c’est-à-dire au quartier général installé dans l’ancien cinéma.
Nous avons pu discuter de la situation et établir un plan pour construire des pédaliers producteurs d’énergie avec l’aide du quartier de la Place du 30 et ceux de la Place Wilson.
Tous nos efforts et notre énergie créative vont devoir phosphorer. Je me sens pousser des ailes.
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10 juillet 2050
Depuis plusieurs jours déjà, le soleil est réapparu.
Quel soulagement pour tous !
Ceux de la place de la Rép, ceux de la place Darcy et ceux de toutes les autres places de la ville… et peut-être des autres place de France aussi.
On ne sait pas comment les autres, ailleurs, se sont organisés pour se nourrir, survivre.
J’espère que toutes et tous auront trouvé des moyens de collaborer.
Maëlle et là, vers moi. Nous sommes fiers de ce que nous avons accompli, de l’élan que nous avons créé.
Il est six heures quarante-deux.
Dans moins d’une minute, le soleil va de nouveau réapparaître.
Ce matin, nous sommes tous venus sur la place de la Rép des sens pour voir le soleil se lever et se ré-allumer le four.
L’émotion est à son comble.
J’aperçois Maëlle au loin qui caresse les petits lapins qui gambadent sur la place.
Je l’interpelle, elle me rejoint et là, sans se parler, nos regards se sont croisés, nous nous sommes tournés vers le four étincelant.
Sa main touche la mienne.
L’émotion m’envahit.
Et là j’me suis dit « Ah tiens, Ça fait bientôt quatre jours que je ne suis pas gratté ! »