Oyé, Oya, Oyons !

Récit imaginé par Aïnoa, Claire, Cyril et facilité par Perrine dans le cadre de l’atelier futurs proches réalisé le 17 mars 2023 en partenariat avec l’ADEME

Thème de l’atelier :  

Et si la France était neutre en carbone en 2050, dans le scénario 1, génération frugale ?

 


Bonjour Mamie Roc, 

Je t’écris cette lettre sous mon chêne préféré qui m’offre de l’ombre en ces temps chauds ! Il nous arrive souvent de faire la classe ici, c’est tellement agréable de profiter de la nature, et le fait d’entendre les oiseaux, je n’ai pas l’impression que les cours soient un fardeau ! Et on apprend de ce qui nous entoure !

Comment vas-tu ? Comment s’est passé ton voyage au Maroc sur la terre de nos ancêtres ? As-tu pu voir tes amis d’enfance ? As-tu reconnu ces paysages ou bien le désert du Sahara a t-il tout englouti ? Remarque, ça doit être génial de dévaler ces dunes de sable !!
J’aimerai vraiment pouvoir visiter ce pays un jour, et je suis sûr que je pourrai te trouver une oasis ! Avec mes copains, on s’amuse beaucoup à être des enquêteurs, des explorateurs de solutions ! On nous appelle d’ailleurs le « Club débrouille » ! Au Maroc, ils connaissent bien la sécheresse et ils ont dû trouver plein d’astuces pour récupérer l’eau de pluie. Ramène nous des idées Mamie Roc !

Tu sais, vous avez eu raison de quitter le Maroc à l’époque pour que votre famille puisse mieux vivre, à Bayonne dans ce beau Pays Basque que j’aime tant.
Alors certes, il n’y a plus, comme à ton époque, du jambon de Bayonne mais je t’avoue que je préfère voir les cochons dans les prés que suspendus à des crochets ! Et puis le piment d’Espelette est un super condiment pour nos plats, même pour nos recettes familiales marocaines ! 

Malheureusement, depuis un an ou deux, la pluie ne tombe plus au Pays Basque, ce qui est un comble pour une région d’habitude si pluvieuse ! L’océan et les Pyrénées nous donnent encore un peu de répit certains jours mais nous devons économiser cette eau. Tu sais, cette année c’est bien pire que d’habitude. J’avais vraiment pas vu le truc venir.
C’est arrivé doucement au début, un peu comme chaque année, on savait qu’il fallait faire attention à l’eau. On allait régulièrement à la rivière et on a vu chaque semaine le niveau baisser, les pierres apparaître. Au début on rentrait dans l’eau en entier, c’était vraiment chouette mais ça n’a pas duré.
Je me souviens qu’à l’anniversaire de mes 8 ans, nous n’avions pas pu nous baigner à la rivière avec les copains, j’avais de l’eau jusqu’aux chevilles. Là c’est archi pire !

A l’heure où je t’écris il n’y a plus que des mares et on sent bien que la végétation et les animaux sont fragiles, enfin pour ceux qu’on voit ou qu’on entend.
La nature s’évapore, comme la rivière.
La nouvelle est arrivée il y a quelques jours. Quand j’ai vu la tête de Maman lundi matin, j’ai compris que la situation était plus grave. Elle m’a expliqué que la sécheresse avait passé un niveau d’alerte, un truc de plan bidule où ils coupent l’eau pour éviter toutes fuites. Il parait que c’est la première fois qu’on l’active.

Il y a désormais un quota d’eau pour le quartier et soit on se met d’accord pour son utilisation, soit c’est 2h à répartir le matin et le soir par famille (maman a peur des contrôles en plus…. c’est un peu tendu).
Heureusement qu’ici on s’entend bien et qu’on a l’habitude de trouver ensemble des solutions.

On sait que le soir, dans toutes les villes et les campagnes, on doit s’organiser. 
J’ai peur que dans les grandes villes il y ait des bagarres. Il vaut mieux ne pas être trop nombreux pour arriver à se mettre d’accord. Et puis il y a toujours des gens qui essayent de tricher surtout quand on ne se connaît pas.

Hier soir, en allant chez Paula pour discuter avec le quartier on a entendu un bruit dans le lointain.
Alors avec Medhi et Alice, on est allés de l’autre côté de la vallée pour voir ce qui se passait : c’était un groupe de personnes qui marchait en chantant des chansons tristes. On a vite compris que c’était une procession pour Saint-Gaudérique pour appeler la pluie. Maman m’en avait parlé une fois en levant les yeux au ciel. Eh bien moi j’ai vu que ça permettait aux gens d’être ensemble et de se réconforter (un peu comme nos cercles de parole). C’était impressionnant et ça nous a donné plus d’énergie pour trouver nos propres solutions. 
On a filé chez Paula écouter les adultes. Ils ont essayé de nous écarter des discussions mais on s’est pas laissé faire : tu le sais toi qu’on a plein d’idées marrantes ! On est resté.

On a lancé un concours d’idées et je me suis souvenu de ce que tu me racontais : les oyas, les heures à respecter, les frigos du désert… On s’est aperçu que les grands-mères et les grands pères ça connaît plein de choses. Même si des fois il faut des outils ou des machines qu’on n’utilise plus.
Tu sais, Mamie, cela fait déjà 1 mois que je me douche au gant, c’est plutôt agréable d’ailleurs. Avec Medhi et Peio, on s’amuse à jouer à celui qui utilise le moins d’eau. Pour l’instant, c’est Peïo qui gagne, il arrive à se laver avec un verre d’eau, tu te rends compte ! Mais je n’ai pas dit mon dernier mot.

Lundi aussi, à l’école, la maîtresse nous a emmené sous les pommiers d’Ustaritz, proche de la Nive. Ma pauvre Nive, on dirait que quelqu’un est venu nous voler toute l’eau.
La maîtresse nous a expliqué la pénurie d’eau et nous a demandé, chacun à notre tour, de dire ce que cela change dans nos vies et celles de nos parents. Tout de suite avec Mehdi, on a pensé à nos tomates et à nos aubergines. Mais il n’y a pas que cela.
Alice nous a dit que son oncle Patxi ne pouvait plus faire de vin. Fini l’Irouléguy de Tonton Patxi, Papa adorait ouvrir une bouteille le dimanche. Alice a dit que la sécheresse avait trop abîmé les vignes, que la chaleur était mauvaise pour le raisin et qu’il y avait trop d’alcool dans les bouteilles. J’ai pas tout compris mais j’ai senti qu’Alice s’inquiétait pour son oncle Patxi.

Amaïa a parlé de sa Maman. Tu sais, c’est celle qui vend les espadrilles à côté des Halles. Eh bien, comme il n’y a plus de touristes à cause du manque d’eau, elle ne vend plus ses espadrilles. Et puis Amaïa nous a dit que le lin pour fabriquer des espadrilles était plus cher car il y en avait moins à cause de la sécheresse. Alors la mère d’Amaïa propose de réparer les espadrilles des locaux. Je vais dire à maman d’aller faire réparer les siennes, elles sont abîmées sous la semelle. 
Et tu sais, Léo nous a remonté le moral. La récolte de piment de ses parents est plutôt bonne. Il nous a expliqué comment ses parents avaient, depuis plus de 10 ans, adapté la culture du piment à la sécheresse. Il nous a même dit que les graines avaient de la mémoire et qu’elles transmettaient aux graines de l’année suivante la résistance à la sécheresse. 
Tu savais, Mamie, que les graines avaient de la mémoire ?

Mais il y a quelque chose qui nous fait peur : les incendies. Le papa de Peïo en a éteint un samedi dans la forêt de Chiberta. Heureusement, il était encore tout petit. Tout le monde était inquiet. Le papi de Peïo n’arrêtait pas de parler de l’incendie de 2020. La papa de Peïo nous a rassuré mais je l’ai entendu parler avec Maman de son inquiétude de n’avoir pas assez de stock en cas d’incendie. 
Bon et moi j’ai dit à la classe que le potager du quartier était entre de bonnes mains. Avec Medhi, on a expliqué comment on avait utilisé des oyas pour arroser les tomates, les aubergines et les courgettes. Mehdi a même fait un schéma pour montrer comment son père faisait bouillir de l’eau de mer pour la dessaler afin de remplir les oyas. 
T’aurais dû voir ça, toute la classe voulait ramener le schéma à la maison, même la maîtresse !

Du coup Mamie Roc, entre toi et ton expérience « terrain » au Maroc et nous le « Club débrouille », on pense qu’on va créer nos propres oyas avec des pots de plantes en terre cuite et qu’on va les distribuer au marché du village en les troquant. Medhi va demander à son père de faire un atelier pour dessaler l’eau au prochain conseil inter-quartier.  Après, on doit récupérer l’eau de pluie, et pas juste chez nous mais sur de plus grandes surfaces. On va aller parler au vieux Xabi qui a sa ferme à côté, il adore ce genre de challenge.
Ça ne va pas être facile Mamie, mais tu sais, on doit se débrouiller !  

On se rend compte de la chance qu’on a de vivre ici, car on est moins touché que dans d’autres régions de France mais les quotas d’eau, ça c’est dur. Surtout que nous, on court partout et on a très soif ! Bon la douche ça me dérange moins ! Haha !
Mais comment va-t-on faire pour nos cultures ? Tu crois que les oyas ça suffira ? Et pour nos bêtes
Des fois, j’ai peur Mamie Roc… je regarde le ciel et moi aussi je prie pour qu’il nous envoie de l’eau. Des gens des régions voisines sont venus car ils n’ont plus du tout d’eau et plus rien ne pousse… du coup, on doit faire la queue des heures des fois au marché juste pour manger et boire… ça créé beaucoup de tensions… nous on court vite et avec l’aide de Xabi, on a ce qu’il nous faut pour l’instant… mais combien de temps ça va durer ?
Je ne sais pas si j’aurai des enfants un jour mais si c’est le cas, j’espère que nous aurons trouvé des solutions vivables et qu’on leur laissera une planète en meilleure santé. Incha Allah !

Je dois te laisser Mamie Roc, le soleil a l’air de disparaître derrière un nuage, alors je dois me préparer à mettre les sceaux si jamais il pleut ! 

Je t’aime très fort ! Prends soin de toi ! Laster arte = à plus tard en Basque !

Issam