17 Juil Lourde décision, la légèreté en péril
Récit imaginé par Loris VERRON, Carole MOLERES, Louna PABOU et facilité par Hélène MERLIN dans le cadre de l’atelier d’écriture collective futurs proches, pour la 1ère édition du festival Les Palourdes-Hameaux Légers, le 17/07/2022.
Thème de l’atelier : Et si demain, on densifiait les villes sans béton ?
« – Vu la pression, j’estime qu’on pourrait en tirer quelques centaines de milliers de litres…. »
Saule s’arrête sur le pas de la porte, surpris par un tel volume.
« – Mais… Tu es sûr de toi ? Vraiment ? Pourquoi on aurait un puits de pétrole ici ? Ils ont tous été dilapidés à l’époque. Macron ouvrait même des puits de gaz de schiste. »
Mirabelle le pousse vers l’intérieur et l’accompagne à table. Elle sort des cartes.
« – On est exactement dans la zone historique de la salle des Mines. Il est tout à fait possible qu’il ait condamné un puits non tari dès 2010 – 2020 !
– Bon, ok, ok, ok. Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait de ça ? On ne peut pas diffuser cette info, ça risque de réveiller des passions nostalgiques du confort et compagnie. Tu imagines les gens du hameau Biclou ? Ils vont vouloir en faire des courses de mobylettes des années 90 ?
– T’es sérieux Saule ? Tu connais bien les règles ici. Enfin, je crois que tu fais partie des militants fondateurs de la cité, non ?
– Oui, ouais
– Ouais, donc tu sais qu’il faut qu’on diffuse ce genre d’info dès la prochaine agora. Surtout que là, y’a pas de doute sur la marchandise. Cette fois, j’ai un taux de réactif de mélisse qui dépasse les cinq pour cent. Ça doit être du vrai mazout. On est presque sur du pétrole raffiné.
– Bon, je ne doute pas de tes nouvelles compétences de Phyto géologie, mais je ne sais pas… À l’époque on avait déjà eu des gros soucis avec ce genre de situation. Et à l’approche des moissons, si les gens se tirent dans les pattes, ça peut casser toute l’énergie collective. J’ai pas envie de prendre de risque. Tant qu’on garde ça entre nous, il n’y aura pas de soucis. On en reparlera après l’été, après la fête des trente ans des communs. Et quand on aura du temps pour débattre.
– Mais pense à tout ce qu’on peut faire avec dès cet été, un paquet d’énergie comme ça, c’est…
– Mirabelle, tu sais bien pourquoi on a arrêté toutes ces conneries climaticides ? On n’en fera rien de ce pétrole. De toute façon, si on diffuse l’info à l’Agora, j’ai confiance en la communauté pour garder ce puits scellé. D’ailleurs, si je peux te conseiller un truc, n’étale pas trop tes désirs de technologies industrielles devant eux. Tu viens d’arriver, à peine sorti des chantiers de désinsertion, beaucoup se doutent de ton passif. Police et passion moto, tout ça, on t’en veut pas, tu sais bien, c’est pas ça, mais c’est qu’on s’inquiétera pour tes addictions et tout. »
Mirabelle ne réponds pas. Elle retrace les mesures de sa découverte sur la carte géologique au 1/500’000ème.
« Bon, dit Balo en s’asseyant à l’autre bout de la table. J’étais dans la réserve, je dé-germais les patates. Du coup, je me permets d’intervenir parce que j’ai tout entendu et à mon avis, il faut qu’on en parle aux autres. C’est pas possible de garder une bombe comme ça. Enfin quoi, Saule, la confiance, la transparence, tout ça, t’a oublié ? Mirabelle, elle a raison là-dessus. Il faut qu’on diffuse. »
Les habitants du hameau de L’ex-citas Paris vivent dans des habitations légères. Quelques-uns seuls, d’autres en famille, à plusieurs familles, avec plusieurs générations. Certains jeunes, pas encore majeurs, vivent ensemble. Les habitants vivent dehors, interagissent tous les jours, même s’ils n’appartiennent pas à la même famille. Balo, assis à l’entrée de sa paillourte qu’il partage avec ses deux amis, regarde fourmiller la cité. Il est heureux. Cette vie, ce mode de vie, cette façon d’habiter, lui sont précieuses. Elle fait son identité. Il a vingt ans. Il y a grandi. Il a intégré tous ses codes. Il adore aider les nouveaux habitants à construire leur nouvelle maison. Surtout quand il faut utiliser le matériau de terre. Il se sent si vivant quand il la manipule. Il aime aussi aider à l’entretien du potager collectif de la ville, surtout parce qu’il y rencontre les autres habitants. Les discussions sont souvent philosophiques. Balo est conteur. Tous les soirs, il invente une histoire, devant les habitants venus se rassembler autour de lui pour écouter son conte. Souvent, le silence se fait. Tous écoutent, attentifs, immergés dans l’univers sorti de l’imaginaire de Balo. A la fin, il est applaudi. Les habitants lui donnent quelque chose. Il n’y a pas d’argent dans la cité. Les habitants contribuent à toutes les tâches pour assurer la vie quotidienne. Balo aime recevoir une tasse en poterie ou un chandail en chanvre pour les jours plus frais.
Balo se lève et prend la direction du Conseil citoyen. C’est l’heure de tous se réunir. Les habitants s’y rendent chaque semaine pour régler les affaires du Hameau. Quand il fait beau, elle se tient dans un amphithéâtre de nature protégée de jasmin blanc qui court sur les fils tendus au-dessus de l’amphithéâtre. Une fois les habitants installés, le silence se fait. Mirabelle, la sourcière, prend la parole. Elle est chargée de la gestion des puits, des sources, pour assurer l’approvisionnement en eau potable du hameau. Elle annonce qu’elle pense avoir trouvé du pétrole. Le puits est situé exactement sous le hameau. Balo est pris de stupeur, une angoisse monte en lui et le paralyse de peur. Du pétrole. Ce mot presque banni dans cette cité qui s’est construite sans lui, qui a tant œuvré à réparer ce que le pétrole avait détruit et artificialisé. Le pétrole, pour Balo, est quelque chose de sale, de mauvais, de dangereux, de destructeur. Et surtout il appartient au passé. Il est impossible qu’il revienne dans la vie des habitants du Hameau. Les habitants sont sous le choc de la nouvelle. Mais Balo ne sent pas une unité pour interdire son exploration. En effet, Mirabelle demande au Conseil citoyen qu’il se prononce dans une semaine sur le forage du puits pour vérifier la qualité et la qualité de pétrole. Effrayé, Balo prend la parole.
« Je suis absolument contre. Notre communauté est précieuse. La solidarité, l’équilibre, le fonctionnement, mis en place sont fondamentaux. Le pétrole viendrait défaire tout ça. Il nous fracturerait, comme c’était encore le cas il y a trente ans. Il nous amènerait à nouveau à exploiter la nature et les hommes. Sa disparition a été la plus grande chance de l’humain et de la nature. Nous avons basé nos valeurs sur le bien être au quotidien et notamment psychologique. Nous avons libéré les gens de la contrainte aliénante du travail. Nous avons retrouvé le temps de vivre. L’art et la beauté sont au cœur de nos quartiers, valorisant nos habitats légers. Ces derniers contribuent à nous ouvrir aux autres. Oui, nous pouvons les déplacer pour exploiter ce puits, mais cela détruirait l’organisation, les relations de voisinage, le lien humain tissé si patiemment. Cela détruirait nos vergers, nos œuvres d’art, nos parasols naturels faits de jasmin blanc et de chèvrefeuille. Tout ce qui fait le paysage du Hameau. Nos identités. Notre âme. Non au déplacement de quartiers, et un grand NON au pétrole et au retour du mode d’avant. »
Des larmes coulent sur ses joues. Il sent encore l’indécision des habitants. Et il sentit l’incertitude toute la semaine qui suivit ce Conseil citoyen. La tension était palpable dans les rues. Les gens chuchotaient. Des disputes éclataient entre voisins ou membres de la famille. Balo ne comprend pas comment ces gens, dont il était sûr que les valeurs de solidarité, d’entraide, de sobriété, étaient ancrées en eux, puissent hésiter sur la question, puissent vouloir regoûter au monde d’avant, à la facilité offerte par cette énergie mettant en péril l’habitabilité de la Terre et la force du lien entre les humains.
Depuis cette découverte imprévue, la ville est donc en ébullition. Les débats battent leur plein et semblent intarissables. Du pétrole… Alors même que la nouvelle cité commençait à trouver une véritable stabilité. Les habitants ont beau avoir fait un travail sur eux pour être de véritables psychologues, garants de leur santé intérieure, en plus de leur métier principal et secondaire, la question d’exploiter ou non cet or noir, vestige de l’ancien Monde, semble les cliver à nouveau.
Le premier Conseil de citoyens a eu lieu il y a maintenant trois semaines. L’heure tourne et le suivant approche. Saule déambule dans la prairie fleurie qui fait office de place du Hameau pour préparer cette nouvelle grande réunion. L’air soucieux, sa démarche demeure sereine. Alors qu’il slalome entre les animaux laissés libres dans sa marche socratique de réflexion aux outils d’intelligence collective qu’il va mobiliser, un frisson l’envahit. Chaque fois qu’il y pense, ce nouveau pacte avec le monde vivant l’inspire et le ré-ancre. Il en aura bien besoin, lui qui s’est battu sa jeunesse durant pour faire émerger des décombres de l’ancien monde à bout de souffle, un modèle différent, se voit offrir aujourd’hui un nouveau défi particulièrement riche. La découverte de Mirabelle va-t-elle faire vaciller cette nouvelle stabilité ? Les nouveaux humains ont-ils enfoui nombre de vices et d’envies de l’ancien monde qui sont ainsi percés à vif ? Ne sont-ils pas réellement heureux ici ?
Sitôt ces questions balayées que nous voilà. Le jour du conseil arrive et avec lui le carillon de la réunion qui transperce de ses notes joyeuses une atmosphère tendue, morte.
Saule ferme les yeux. Son inspiration se mêle à celle des autres habitants en ce concert de silence introductif. Chaque groupe, chaque citoyen – citoyenne va être entendu pour trancher. Doit-on ou non utiliser ce pétrole ? Femmes, hommes, enfants, vieillards et jeunes se succèdent.
« – Quelle folie ! clament les uns.
– Tentons-le ! suggèrent les autres
– Souvenez-vous des possibles qui se permettraient tout de même, souffle Mirabelle
– Elle ne lâchera rien, » peste Saule dans sa barbe blanche.
Finalement, le consensus émerge, porté par la voix cristalline de la jeune femme chargée de restituer les échanges. Le Conseil des citoyens et des citoyennes a décidé :
« Oui. Nous nous devons d’explorer le pétrole. Mais rassurez-vous, nous ne ferons pas comme l’ont fait nos prédécesseurs. Nous nous devons de l’utiliser mesurément, de calibrer les besoins essentiels tels que la consolidation de nos habitats par de nouveaux plastiques par exemple. »
Un frisson parcourt la foule. Le gong retentit. La décision est prise. C’est à Saule de s’exprimer. Au milieu du grand cercle, sa voix est posée.
« Chers amis, dit-il, la découverte de ce puits de pétrole est pour notre petite société un bien grand dilemme, particulièrement après les années de lutte et de transition persévérante que nous avons menées tous ensemble pour en arriver là. Et nous nous devons de respecter cette décision. Mais… il y a… enfin, il y a quelque chose que je dois vous dire. Ce puits de pétrole… n’est pas un puits de pétrole. »
Un cri de surprise collectif s’élève. Saule reprend :
« – Comme l’avait prédit le GIEC dans les années 2000. Cette ressource est limitée. Pourtant, cette épreuve collective s’est imposée à moi lorsque Mirabelle m’a fait part de cette annonce. Nous avions, je pense, besoin de vivre cette émule. Nous confronter aux reliquats de cet ancien monde était nécessaire pour apprendre collectivement et comprendre où nous en sommes de sa libération. Oui, je savais depuis le début, mais je pense que je me devais de nous laisser grandir ensemble face à ce dilemme qui a failli nous rediviser. Mon ancien métier de sociologue m’a poussé à faire de l’observation.
– Dis Saule, s’exclame soudain Balo, mais pourquoi tu savais ? Et si ce n’est pas du pétrole, c’est quoi alors ?
D’une voix amusée, Saule reprend la parole :
– Pour tout vous dire, j’avais préparé, à l’approche de cette grande fête des trente ans des communs, une nouvelle boisson à partager tous ensemble, un rhum arrangé sans alcool, à la réglisse, en quelque sorte. Mais je n’étais pas sûr qu’il marche et je voulais garder la surprise. Mais ça, c’était bel et bien la dernière chose que j’aurais imaginée. »
La foule éclate d’un rire franc et soulagé.