L’étincelle

Récit imaginé par Tom, Simon, Vincent et Virginie et facilité par Vincent Doubrère dans le cadre de l’atelier futurs proches réalisé le 12 décembre 2023 en partenariat avec l’ADEME

Thème de l’atelier : Et si la France était neutre en carbone en 2050, dans le scénario 4 ?


Les bulles de son diabolo sont encore fraiches. Elle n’a pas dû s’assoupir longtemps. Les jambes étendues vers l’avant, Nérina étire ses bras nus, et baille. Son père la réprimande, sévère et dur comme à son habitute, en lui ordonnant de mettre la main devant la bouche.

La trajectoire du petit avion bleu et blanc sur la tablette mis à disposition pour son vol indique qu’ils sont désormais en Espagne. Rio est si loin déjà. Nérina est toujours aussi surprise de la vitesse à laquelle elle passe d’un endroit à l’autre, en l’espace d’un sommeil.

Un matelas de nuage blanc sur lequel glisse l’avion apparait devant ses yeux lorsqu’elle ouvre le volet de sa fenêtre. Son regard ébahi.

Nérina colle son visage à la vitre, afin d’essayer de gagner en visibilité sur la vie en minuscule qui défile en-dessous d’elle. Elle aime à imaginer les millions de vies qui s’agitent en bas d’elle.

Penchant sa tête vers le bas, elle découvre une lueur rouge déchirer se matelas paisible. La lueur rouge ronge progressivement la nappe, qui est de plus en plus sombre.

« Mesdames et messieurs, en raison d’un incendie sur notre chemin, nous allons effectuer un rapide changement d’itinéraire, occasionant un retard de 5 minutes par rapport à notre heure d’arrivée. Toute l’équipe de GreenAirlines vous remercie de votre compréhension et vous souhaite une bonne fin de voyage ».

Confuse, elle demande à son père des informations. Le nez sur son ordinateur, il ne répond pas à ses questions. Sa confusion restera sans réponse jusqu’à l’atterrissage à Clermont-Ferrand.

En survolant ces incendies, une angoisse s’empare de Nérina. Ce n’était de loin pas le premier qu’elle voyait cette année, mais celui-ci lui semblait être d’une rare virulence. Elle n’était pas dans sa zone géographique d’habitation et ne pouvait donc, en théorie, pas se connecter au système Open crisis développé par la multinationale alpha pour avoir des informations sur le suivi de l’événement. En subtilisant le moniteur de son père (qui vient de s’endormir sur le siège à côté d’elle), elle parvient à se connecter en une fraction de seconde. L’Etat espagnol indique sur la plateforme que l’incendie sera maitrisé d’ici 12 minutes grâce à l’intelligence artificelle qui a détecté le départ de feu. Grâce à son VPN, Nérina parvient à entrer en contact avec une autre personne connectée : Adela. Celle-ci lui explique que l’incendie est en fait loin d’être maitrisé, que sa maison vient d’être détruite et qu’elle s’est connectée à Open crisis pour chercher de l’aide, comme elle ne dispose d’aucune assurance ou garantie pour ces dommages.

Les feux de forêt ravagent encore douloureusement et bientôt 230 millions d’hectares sont partis en cendre et fumée entre le Portugal et la côte Basque, on comptabilise 450.000 évacués et les morts se comptent déjà en dizaine de milliers.

En retrouvant le sol bitumeux de l’aéroport, les écrans sont tournés sur ces flammes que Nérina avait vu depuis l’avion. Elle est connectée chaque minute à son réseau social FIREFIGHT pour analyser la situation dans sa région.

Dépitée par le comportement de son père qui a déjà connecté toutes ses datas assurantielles dans sa Notion page, elle décide d’aller prendre l’air au « UNTIL 2100 and more » y retrouver quelques amis. Le UNTIL 2100 est un de ces tiers lieux crées par des cinquantenaires des années 20, des utopistes, qui aimaient le vin, la bière, et un bon concert et parler du temps qui passe !

Elle y découvre, surprise, un lieu de vie alternatif avec des solutions qui s’ouvrent ! de l’entraide, des gens qui se regardent.

Comme un papillon encore ensuqué dans sa chrysalide, Nérina vient s’asseoir à la table de la cuisine-bureau.

Sur l’écran du réfrigérateur, le niveau de concentré d’orange est au plus bas. Depuis leur dispute, le père de Nérina a oublié de valider le réapprovisionnement automatique.

Nérina attrape un sachet de protéines de lactosérum sur lequel figure en lettres minuscules : fabriqué à Bagnères de Luchon, Pyrénées.

– Papa ?

– Tiens, tu as retrouvé ta langue ? bougonne son père

– Bagnères-de-Luchon, c’est pas là-bas que Mamie t’emmenait quand tu étais petit ?

– Le petit chalet ? Si. Mais il est condamné depuis quinze ans. C’était devenu trop dangereux avec tous les résineux environnants.

– Mais aujourd’hui, il en reste ?

– Quoi, des résineux ? Le père de Nérina consulte son application Forestry-alltime sur son bracelet connecté.

– Non, il n’y a plus rien. Tout est parti en coupes rases.

– Alors on pourrait y installer Adèla et ses parents ? S’il-te-plaît, papa, juste quelques jours…

Dans les yeux de Nérina, une étincelle.