L’été chez les grands-parents des Vosges

Récit imaginé par Jean-Marc, Caroline, Joëlle et Laurent, et facilité par Priscille Cadart dans le cadre l’atelier futurs proches réalisé le 18 septembre 2022, au festival 10 Jours Vert le Futur, en partenariat avec Vert le futur et l’Eurométropole de Strasbourg

Thème de l’atelier :  Nous sommes en 2035. Notre quotidien est à présent entièrement impacté par le processus globalisé et évolutif d’effondrement de notre civilisation. Chaque jour, face à la déliquescence de la situation, nous sommes de plus en plus inventifs pour renforcer notre autonomie, nous organiser en communautés, développer des compétences insoupçonnées. Dans ce contexte, quels récits pouvons-nous imaginer pour créer, entretenir ou réparer des liens ?


Cette année il fait si chaud, les enfants sont assis sous l’arbre de la cour de la Maison des Jeunes de l’Elsau. Ils attendent l’accord pour partir rejoindre les grand-parents des Vosges. Là-bas la fraîcheur sera salutaire et ils pourront reprendre une vie normale. Par petits groupes, les enfants sont dispatchés. Qui va vers la Petite Pierre, qui vers Wissembourg, le Hohwald, ou encore Grendelbruch.

Le grand-père d’Elsa attend de pied ferme une petite bande d’enfants pour tout l’été. A Grendelbruch, malgré les circonstances climatiques, la vie réussit à se faufiler. Charles, le grand-père, a aménagé pendant tout l’hiver sa grange et il peut recevoir 10 enfants cet été.

A vélo, voilà la joyeuse bande sur le canal de la Bruche jusqu’à Avolsheim. Puis, deux carrioles tirées par des chevaux les attendent, et patiemment, arpentent le fond de vallée, jusqu’à se hisser à Grendelbruch, et enfin le lieu-dit La Grande Fosse. Tout le village les attend. Ils sont accueillis par un bon goûter, du jus de pomme frais et du Kougelhopf. Les enfants arrivent chez Charles. Un oiseau chante son trilili et quelques abeilles s’affairent sur un bosquet de roses. Derrière la maison, la grange, porte grande ouverte, est déjà prête pour vivre un été tous ensemble. Jour après jour, au rythme du soleil, des étoiles, des seaux d’eau remplis à la source. Au rythme des promenades pour chercher du bois, des mûres ou des myrtilles, les enfants se découvrent et s’entraident. Les plus grands sont responsables des plus petits. La vie s’organise et certains aident d’autres personnes du village plus en difficulté, avec l’eau qui finit par manquer un peu partout.

L’été passe, et l’Elsau est si loin. Les parents de chacun sont présents, par visioconférence régulière le soir, le monde se répare pas à pas et les enfants sont fiers d’appartenir à ce monde qui se transforme.

Bientôt la rentrée, il faut s’organiser. Tellement de choses à rapporter pour raconter, témoigner de tout ce vécu. Qui racontera ? Qui transporte ? Comment ? Et si on ramenait des graines ? « Un petit sapin », demande Elsa, « Il est si petit ! ». Un petit chat, né juste à leur arrivée ne lâche pas d’une semelle Tom, le copain d’Elsa. « Il rentre dans ma poche, je peux le transporter », dit-il en baissant la voix.

Soudain, un orage éclate, suivi d’une inondation dans la vallée et en plaine. Le ciel qui était resté bleu depuis si longtemps se colore de blanc, de gris, de noir. Les enfants lèvent la tête. Il va pleuvoir. C’est chouette ! Ils ne se réjouissent que peu de temps. C’est d’un coup l’éclipse, le noir absolu dans le ciel. L’angoisse des adultes qui pousse les enfants à rentrer à l’abri. Puis, en quelques minutes, c’est la grande tempête. Des grêlons énormes bombardent les toits, un bruit de fracas total. Chats et chiens à l’abri, des vaches meuglent, les gens crient, et chacun se serre les uns contre les autres. C’est le déluge. Ça dure tout l’après-midi et la nuit sans répit. Les routes sont bloquées. Combien d’arbres renversés, arrachés.

Plus bas dans la vallée, Mamadi l’éclusier n’a pas vu le nuage. Un grondement au loin, puis des tonnes d’eau qui dévalent et débordent du canal. Mamadi cherche le moyen de fermer l’écluse. Plus d’électricité. Il manœuvre à la main. Mais, à la moitié de la manœuvre, il doit renoncer et l’écluse reste ouverte. La vallée inondée, la piste cyclable impraticable. L’eau envahit toute la vallée. Il pleut encore près de 12 heures et à Elsau on a les pieds dans l’eau.

On attendait en juin le signal du départ, maintenant on revit la même histoire : quand partirons-nous ? Comment rejoindre Avolsheim et le canal ? Comment rouler le long du canal en toute sécurité ?

Les sentiers de montagne ont été davantage épargnés. Dans la tête des anciens, un cheminement se met en place. On attendra deux jours, et puis on prendra la route à pieds. La rentrée sera décalée, mais cela arrive régulièrement. De village en village, un relais se met en place pour sécuriser l’avancée des enfants et les aider à transporter leur bardas. La nature est en pleine possession de ses moyens, les odeurs de champignon sont fortes. Tom et Elsa marchent côte à côte, le petit chat dans la poche de Tom, Elsa serre dans la sienne son petit sapin. On enjambe des arbres, ça dérape un peu car la terre est pleine d’eau.

La pluie est tombée pendant 4 jours et 4 nuits. La rivière a quitté son lit, elle roule entre les deux versants de la vallée et charrie avec elle des branches et des troncs qui forment parfois des embâcles. Elsa et les plus grands ligaturent les branches les plus solides entre elles et construisent un radeau, puis deux, puis trois. La leçon de nœuds du grand-père Charles n’aura pas été inutile. Les enfants embarquent avec l’aide de Mamadi, l’éclusier d’Avolsheim. Mamadi s’y connaît en eau. Sa mission est de veiller au débit sur le canal et sur la Bruche. Il s’y connaît en enfants aussi, parce qu’il n’est jamais vraiment devenu un adulte. Il veille à maintenir le radeau d’aplomb, pendant que les enfants s’y installent. Les plus grands prennent place sur les bords, alors que les petits s’allongent au centre. Le trajet est court, mais la rivière en crue, le ciel immense sur leurs têtes, les nuages qui font la course, ravissent Elsa. Des hérons cendrés, des cigognes aussi, arpentent les rives sur leurs longues pattes. Aux abords de Molsheim, des habitants et habitantes les attendent sur la berge. Ensemble, ils et elles partagent un repas avant de reprendre leur chemin vers la ville.

Les enfants étaient arrivés hier soir à Avolsheim, dans le gymnase où d’autres attendaient aussi une barge pour rejoindre Strasbourg. Certains étaient là depuis plusieurs jours. Les pistes et les trains étaient bloqués par les arbres, l’équipe du club de danse folklorique cuisinait pour tout le monde en chantant. Charles connaissait Mamadi qui régulait le trafic du canal. Il a trouvé une barge qui pouvait les déposer sur la berge de l’Ill, à 200 m de la Maison des Jeunes, en face de l’île aux chèvres. Ils seront sûrement surpris de les voir débarquer tranquillement assis dans ce déluge sur des montagnes de grains de maïs. Charles dit au revoir, et le bateau continue à glisser sur le canal dominé par l’enchevêtrement des arbres couchés par la tempête.

Du coup, Mamie-prof demande aux enfants de s’asseoir en cercle. « Racontez-moi votre été ! J’ai appris que certains groupes ont eu des soucis sur le trajet. Vous pourrez m’expliquer tout ça en même temps que vous raconterez votre histoire » propose-t-elle. En écoutant le chant d’un rouge-gorge, au milieu de la clairière, chaque groupe raconte ce qu’il a fait de son été. Certains étaient dans la forêt au nord-ouest de l’Alsace et ils ont passé la saison à s’occuper des vergers. D’autres étaient au Nord, à faire paître les brebis. Il y a même quelques enfants qui étaient dans la Forêt-Noire de l’autre côté du Rhin. Ils ont tous ramené plein de bonnes choses à manger. Plein de bocaux pourrons être faits pour l’hiver. Puis, viens le tour du groupe d’Elsa et Tom de raconter. Ils se mettent donc à présenter leur été, à faire pousser des tomates avec Papy-Charles. Mais aussi le retour, avec les arbres et l’eau sur la piste cyclable, les rencontres avec les villageois, le travail de Mamadi sur le canal de la Bruche et le voyage en radeau.

Mamie-prof les félicite : « Bravo les enfants, merci pour toutes vos belles histoires. Vous avez l’air d’avoir tous et toutes appris plein de choses cet été. Et si on allait goûter tous les bons ingrédients que vous avez rapporté ? »

En croquant à pleines dents dans une belle tomate, Elsa se dit que c’était chouette d’être avec tout le monde cet été. Elle espère que l’année prochaine, ce sera encore chez Papy-Charles. Le petit chat de Tom miaule dans sa poche comme pour le lui affirmer.