06 Fév Les déambulations de Lou

Récit imaginé par Tiphaine Chomaz, Claudy Ouvrard, Margot Auvray, Roland et facilité par Delphine Bondran dans le cadre l’atelier futurs proches réalisé le 28 janvier 2023 à la Maison de l’Environnement de la Métropole de Lyon

Thème de l’atelier:  Et si en 2040 la notion de travail avait été remplacée par celles d’activités et de missions ? 

Ce matin Lou, 10 ans, observe le beau jardin partagé de la place Bellecour depuis sa chambre. Il est tellement grand qu’il suffit à nourrir tous les voisins des alentours. Lou, avec ses parents, s’y rend tous les lundis après-midi pour participer à son entretien et récupérer quelques légumes pour la semaine. 

Tout cela est encore nouveau pour elle. Lou est arrivée de Guadeloupe, où elle est née, avec sa mère et son père il y a quelques mois. Sa maman est spécialiste des systèmes d’organisation sociale en milieu insulaire et son papa expert en culture aquatique. 

Ils ont été appelés à Lyon pour transmettre leurs savoirs sur l’organisation de la ville par quartiers et sur les possibilités de culture vivrière dans le Rhône et la Saône, enfin dépollués. 

3 semaines de bateau à voile pour venir jusqu’ici, un voyage inoubliable pour Lou. 

Elle décide d’aller faire un tour au marché aux livres dont elle a entendu parler qui se trouve sur les quais de Saône. Avant de partir, elle fouille dans la bibliothèque familiale pour récupérer un ou deux romans qu’elle pourra échanger pour d’autres ouvrages. 

Le marché est comme espéré, très fourni et Lou ne sait pas où donner de la tête. Elle choisit de s’arrêter devant un stand avec de vieux bouquins jaunis et en prend un au hasard un ouvrage qui s’intitule « Construire son avenir professionnel : la méthode Parcours Sup ». Elle le feuillette, le livre décrit les meilleures stratégies pour utiliser cette drôle de plateforme en ligne qui a l’air très compliqué. 

À l’intérieur, on retrouve des critères de sélection très structurés et des étapes très précises à suivre dont Lou n’a jamais entendu parler. Le livre explique que la première question à se poser pour sa carrière est : « Qu’est-ce que tu veux faire quand tu seras grand ? » Aucune réponse ne lui vient en tête…Rien, c’est le néant.  Lou commence sérieusement à paniquer…

« Qu’est-ce que je vais devenir ? »

Perplexe, les sourcils froncés et le poing gauche serré, elle ferme alors son bouquin et s’exclama bien fort à haute voix : « C’est décidé, aujourd’hui je vais trouver ma voie ! » 

Déambulant sur l’herbe verte, évitant les piétons tout en jouant à la marelle dans des flaques, elle entend tout à coup quelque chose. Des outils, des rires aux éclats, du métal qui s’entrechoque. 

Quels sont ces bruits inhabituels venus de cette façade ornée de vert sur laquelle elle lit « Recyclerie » ?

Un homme d’une quarantaine d’années sort de la maisonnette et se dirige vers elle : 

« J’ai vu que tu traînais derrière la vitre, notre travail semble t’intriguer que puis-je faire pour toi ? »

« Papa, mais que fais-tu ici ? ». 

« Tu sais bien ma chérie, j’utilise 4h chaque semaine pour concevoir avec Roger. Viens, entre, je te montre. » 

« Vois-tu, ce robot ménager Philips 3000 produit en 2020, je l’ai trouvé il y a quelques années dans la Saône. Avec Roger, nous allons avec ça fabriquer les manches de nos cannes à pêche. Grâce à ces nouveaux objets, nous pourrons nous en servir pour assurer l’alimentation de la Presqu’île au printemps prochain ». 

Animée, et les étoiles dans les yeux, Lou se hâte et prend le tournevis posé sur la table et sans consulter son père, elle commence à enlever toutes les vis du robot 3000. Une fois sa tâche accomplie et sa curiosité rassasiée, Lou fait un signe d’aurevoir à son père, se dirige vers la porte direction la sortie.

« Recycleuse ? Peut-être, mais pas toute ma vie… »

Le sourire aux lèvres, elle suit du regard un geai virevoltant entre les branches des arbres qui longent l’avenue. 

Les yeux dans le bleu du ciel, elle aperçoit un beau massif de verdure au sommet d’une haute tour : 

« Quelle vue magnifique doit-il y avoir de là-haut! »

Elle décide de s’y rendre, franchit l’entrée de l’immeuble et se glisse dans l’ascenseur : « Direction, le ciel! »

Une fois sortie, Lou pousse une lourde porte de l’époque où les toits étaient interdits d’accès. 

La lumière vive et les couleurs des cultures impriment aussitôt ses rétines. Une bouffée de bonheur emplit son corps. 

Devant elle, de petites allées quadrillent un immense espace de cultures. Ça et là des personnes s’adonnent au jardinage. Au fond, un petit banc et une tonnelle s’offrent à elle. Le calme règne, ponctué par quelques rires et conseils bienveillants. Ces agriculteurs du ciel produisent des légumes consommés par les habitants de la tour. Ils se sont bien organisés. Un maraîcher professionnel répartit les tâches. Les citadins s’inscrivent. 

« Cultivatrice au milieu de céréales, betteraves et pommes de terre !? Huuum… Pourquoi pas, je ne suis pas contre pour le faire un bon mois ! »

Heureuse de cette découverte, Lou décide de redescendre par les escaliers. 

Au 5e étage, elle visite Le Commun, un espace intergénérationnel avec cuisine et jeux où chacun peut se rendre quand il a envie de partager un moment. 

Une petite dame assez âgée, dite Mamy Dydy, l’appelle et lui demande son nom. 

Lou lui répond avec un sourire comme un soleil. Les voilà, en quelques minutes, lancées dans une partie de cartes endiablée. Mais il est temps pour Lou de la quitter. Au passage, Mamy Dydy lui demande de passer au centre de santé à l’étage inférieur pour donner à son amoureux Papy Roland, une paire de chaussettes qu’elle a patiemment confectionnée. Lou s’y rend aussitôt. 

Elle découvre Papy Roland en grande discussion avec un docteur. Elle les interrompt poliment, donne les chaussettes et s’éclipse. 

« Compagnonne de jeu de cartes ? Tricoteuse de chaussette ? Aidante ? Éventuellement, mais surtout l’hiver ! « 

Grande descente d’escalier tout schuss, glissade sur le carrelage, ouverture des battants de porte à deux bras grands ouverts. Le soleil à nouveau ! 

Elle s’arrête net sur le trottoir, ferme les yeux et prend une grande inspiration. L’odeur du pain chaud et les effluves de fumier emplissent ses narines. L’air est doux, ses poumons se gonflent, elle se sent légère et repart de plus belle. Lou galope à travers les étals, navigue entre les chèvres agora, les troupeaux de moutons et les enfants qui jouent. Elle avance au rythme de la basse et du piano qui flottent dans la rue. La mélodie se fait de plus en plus claire et entraînante, le son se fait plus fort, elle discerne les paroles d’une chanson qu’elle ne connaît pas. 

Elle arrive à l’angle d’un ancien MacDo transformé en atelier de poterie et aperçoit, de l’autre côté du potager Bellecour, un attroupement autour d’une scène improvisée. Elle se rapproche et reconnaît son enseignante, Margot. Elle retrouve son amie Tiphaine, elles se prennent par la main et rejoignent la danse populaire qui s’organise. 

Lou se sent légère, ses poumons se gonflent. C’est décidé, lorsqu’elle sera grande, Lou sera tout ça : chanteuse, enseignante, potière, cultivatrice, docteur, aidante, recycleuse…et peut-être bien d’autres choses encore !