Le Vieux prend un coup d’jeune

Récit imaginé par Catherine Audiat, Laure Haag, Claude Apffel, Roméo Malcurt et facilité par Laetitia Vitaux dans le cadre de l’atelier futurs proches réalisé le 18 novembre 2021 en partenariat avec Génération Ecologie.

Thème de l’atelier : Nous sommes le 3 novembre 2026. Depuis bientôt 5 ans, la France mène une politique décroissante planifiée, volontaire et salutaire. Et si nous imaginions le quotidien de citoyen·ne·s dans ce futur proche ? 

Photo by Humphrey Muleba on Unsplash


– Alors, le Vieux comment ça s’est passé ? Pas mécontent de te poser enfin pour boire un coup, pas vrai ?
– Ouais… je vous vois venir avec vos sourires en coin. C’est vrai que j’étais hyper anxieux… normalement je n’avais pas de rôle à jouer dans cet accouchement ! Mon épouse Louise devait aller auprès de notre fille dès les premières contractions, et le tour était joué. Mais ça… c’était sans compter avec ses 40 de fièvre !
Alors que voulez-vous, quand ma fille Zoé m’a appelé pour que je prenne le relai de sa mère, j’étais sens dessus dessous et j’allais me précipiter fiévreux moi aussi, mais d’inquiétude, à la maternité. 
Sauf que je ne voyais pas comment j’allais me taper 25 bornes au plus vite à vélo pour la rejoindre… toujours loin ces maternité pour les ruraux. Heureusement, avant que j’aie tranché la question, ma fille m’a appelé pour savoir où j’étais, et j’ai compris qu’elle n’était pas du tout où je croyais, mais à ce que les jeunes appellent « une maison de santé ». En tapant l’adresse sur un « GI-PI-S », j’ai vu qu’elle se situait à 5 min à vélo électrique. J’étais dans la troisième dimension.

Le Vieux s’animait en racontant.
– Figure-toi que j’ai pu aller les voir tout de suite. Je savais pas que dans cette maison de santé, les femmes pouvaient accoucher ! Je pensais qu’y avait qu’un dentiste et un ophtalmo. Finalement, c’est la sage-femme que j’avais déjà vue chez Zoé qui m’a expliqué. Je me souviens que pour la naissance de ma fille, j’avais dû prendre la voiture, m’étais retrouvé coincé dans les bouchons sur l’autoroute, et fini par arriver en dehors des heures de visite…. 
Finalement, une piste cyclable, c’est plus sûr qu’une autoroute. Mon gendre y est encore passé hier pour dégager un endroit encombré de branchages, après le coup de vent de l’autre jour. Ce genre de réflexes, on les avait pas, c’est vrai. On aurait plutôt attendu que la municipalité s’en charge. Maintenant, la communauté des voisins s’entraide. Et quelquefois, si le boulot à faire n’est pas fait, on en parle à la rencontre du jeudi, on s’arrange toujours.  Et tout ça, dans le calme. Tu te rends compte, quand-même… quand je pense que dans le village, il n’y a plus qu’une dizaine de véhicules partagés… Tu parles si le gamin va pouvoir jouer dehors ! Mon père m’avait raconté qu’autrefois, en 50, ils jouaient au foot dans la rue avec les copains, eh ben tu vois, ça redevient possible !
– Et alors, au final, ça s’est passé comment ?
– À la maison de santé, la future maman a été traitée « comme une princesse », ce sont ses mots ! Ce n’est pas le souvenir que ma Louise a de la naissance de nos enfants. La première chose qui m’a étonné, c’est qu’elle a bien mangé ! T’as déjà eu un bon repas en hôpital toi ? Ça a sacrément changé. Les plateaux repas sont cuisinés sur place et visiblement, la cuisinière est aux petits soins pour les jeunes mamans ! Et, elle a retrouvé sa sage-femme. Elle a été soutenue tout du long et a pu vivre l’accouchement qu’elle souhaitait, et visiblement, ce n’était pas comme à notre époque… mais je vais pas parler positions d’accouchement et encore moins d’épisiotomie avec toi. Elle a démarré l’allaitement, sans aucune pression et avec beaucoup de soutien et de bienveillance. Ma femme n’a jamais allaité aucun de nos enfants. Il fallait qu’elle récupère vite pour reprendre le boulot, gérer la maison dont je m’occupais pas beaucoup, c’est vrai,  et puis ça avait l’air compliqué, personne ne nous expliquait. Maintenant c’est différent, la sage-femme l’accompagne pendant 10 jours pour l’aider. Et puis, le papa est présent pour gérer le reste. 

Il s’arrêta quelques minutes pour boire, puis enchaîna.
– Et oui, car maintenant que « l’artiste » est là, il va bien falloir s’en occuper et le nourrir. Faut du temps et de l’argent pour ça! Avec ma fille qui a toujours travaillé beaucoup et son mari qui bosse dans un truc solidaire, pas gagné que je pensais!
– Et donc, qu’ont-ils prévu ?
– Et bé figure toi qu’il y a plein de trucs nouveaux, qui ont évolué, depuis notre ancien temps. À côté de la plaque, le Vieux ! Déjà, les temps de congés parentaux sont d’un à trois ans, au choix du couple. Au choix du couple, car cela peut être la mère ET / OU le père! J’ai également appris que l’employeur de ma fille avait tout à fait accepté car elle est elle-même « décisionnaire », comme toutes et tous dans sa boîte. Une … SCOUP je crois.
– Une SCOP plutôt ?
– Oui c’est ça ! Et j’ai appris aussi que mon gendre pouvait jongler dans son agenda, laissant de la place à la vie personnelle. Le monde du bénévolat s’est valorisé, structuré et est désormais fortement reconnu. Il fonctionne non pas « centré sur l’argent » mais sur l’entraide, les services rendus, utilise des monnaies dites « locales ». Alors il peut très bien aider un jour un voisin à réparer son vélo et le lendemain son voisin viendra l’aider à s’occuper de mon petit-fils. On revient un peu à l’ancien troc, qui l’eût cru !
– Surtout pas toi, le Vieux !
– A qui le dis-tu ! Bref, tout ça pour te dire que je suis rassuré. On va pouvoir passer du temps ensemble, et finalement, cette décroissance, cette nouvelle façon de vivre, c’est plutôt pas si mal.
– Content de l’entendre, mon vieux, et tout à fait en accord avec toi. Reste plus qu’à convaincre tous les réfractaires !
THE END