Le Trient, Norberto le pêcheur et le fossile unificateur

Récit imaginé par Camille Krzeminski , Françoise Heierli, Manuel Lambert, Hermel Jaworski et facilité par Natacha Forte dans le cadre l’atelier futurs proches réalisé le 11 mars 2021. 

Thème de l’atelier: Imaginons ensemble un monde plus juste, solidaire et durable où la Justice Climatique est une réalité. Un monde respectueux des êtres vivants actuels et à venir, humains et non humains


Norberto posa son premier pas sur le glacier. En ce mois de mars 2045, le soleil printanier éclairait les flancs du Trient de sa lumière, laissant resplendir sa beauté. Quel contraste avec les Philippines… 


Cela faisait désormais un an que Norberto, sa femme et ses enfants avaient été accueillis en Suisse. Dans son sac à dos, il portait encore la lettre de mission du « Programme officiel de justice climatique suisse », qui l’avait fait venir au titre des réparations climatiques entre pays occidentaux et pays du Sud. Le Trient fêtait en ce jour les dix ans de sa reconnaissance juridique comme personnalité à part entière. Norberto continua sa marche, contemplant l’immensité des montagnes.

Après plusieurs heures à travers les cailloux escarpés, il arriva à sa destination : les dernières glaces du Trient. Les premières neiges semblaient l’accueillir, comme si son ami l’invitait à approcher et entrer dans sa demeure. Posant ses yeux sur le sol gelé, Norberto trouva ce pour quoi il avait parcouru tant de chemin :  un fossile de poisson à l’intérieur de la glace.

Des souvenirs lui revinrent alors en mémoire : son métier de pêcheur aux Philippines, à bord de sa petite barque, le retour au village les mains chargées de poissons qu’il distribuait aux membres de sa famille… Une profonde nostalgie l’envahit. Mais désormais, il se rappelait des paniers vides, les poissons de moins en moins nombreux, et puis ce cyclone dévastateur qui avait détruit sa maison. Son île submergée, son écosystème meurtri, il lui était impossible de rester là-bas.

Norberto se recentra sur l’instant présent, et son regard croisa celui du poisson fossilisé dans les glaces. Il se mit à penser tout haut :« Tout comme ce glacier qui a perdu sa grandeur, j’ai été appelé à une nouvelle vie. C’est comme si le Trient, en fondant, avait fait disparaitre mon île, alors que l’humain, par ses activités, a fait disparaitre ses glaces et celles de nombreux autres glaciers. Quelle ironie ! Heureusement, nous sommes appelés à nous comprendre au delà de notre histoire. Nous sommes tous liés les uns aux autres, nos destins ne font qu’un : soit nous nous détruisons, soit nous coopérons et nous nous soutenons mutuellement. »

Norberto regarda autour de lui : il n’était plus tout seul, de nombreux visages, des jeunes, des ainés, et de toute provenance culturelle avaient fait le même voyage et venaient saluer le glacier. Les offrandes apportées par les pèlerins firent prendre conscience à Norberto de la dignité perdue et retrouvée par le Trient, comparable à sa propre histoire. Les gardiens du glacier l’avaient rassuré. Il avait retrouvé un lieu de vie, une raison d’être, et le Trient récupérait peu à peu sa couverture glaciaire.

Aujourd’hui les humains et le glacier sont protégés. Le vivant a retrouvé sa dignité et sa splendeur.