La vie est-elle triple épaisseur en 2050 ?

Récit imaginé par Jonathan Gual, Anaïs Kasbach, Damien Clement et facilité par Carole Floc’h dans le cadre de l’atelier futurs proches réalisé le 12 décembre 2023 en partenariat avec l’ADEME

Thème de l’atelier : Et si la France était neutre en carbone en 2050, dans le scénario 1 ?


Lundi 11 février 2050

Quel beau début de semaine ! Jamais une matinée de février n’avait été plus humide à Montpellier. Elle portait à elle seule l’espoir que soit étanchée la soif de la terre, asséchée par l’automne. J’avais enfourché mon vélo, pris la direction de la centrale de recyclage où j’exerce mon « majeur », mon expertise principale qui m’occupe à mi-temps. J’ai toujours fait du vélo. Pour me rendre à l’école, puis à l’université, par la suite pour me rendre au boulot dès que la possibilité existait. Ce matin-là, qui m’apparaissait plus moelleux que d’habitude, la différence me frappa. Aucun à-coup sur la route en terre battue. C’est plus d’entretien, mais un amorti incomparable à celui des précédentes routes asphaltées. Le bonheur !

Arrivé à la centrale, je retrouve mes collègues, avec qui nous discutons. Il parait que demain on vote pour le nouveau menu, j’ai hâte, c’est enfin la saison des brocolis ! Nul doute que mes supers collègues seront au rendez-vous pour écarter les bêtes blettes ! L’après-midi, je suis allé faire mon temps partiel au jardin partagé de l’immeuble, l’humidité ambiante fait briller les feuilles et les rend d’autant plus vertes. Quel plaisir cette odeur d’humus et de plantes, comment a-t-on pu supporter les odeurs de pollution autrefois ?

Mardi 12 février 2050

Pfff… Franchement ras la casquette de tous ces comités ! Ce matin, dans l’espace déjeuner, l’équipe vote à la majorité pour mettre des blettes au menu… Des blettes ! Alors que c’est la saison des brocolis et tout le monde sait que c’est plus riche en fer ! Idéal pour nos régimes quasi 100% végétariens. Pourtant, la réduction de la viande est censée avoir permis aux gens de mieux connaitre la richesse de l’alimentation végétarienne.. A tous les coups, c’est cet hypocrite de Geoffrey qui a fomenté ce vote inique. Et moi là-dedans ? On s’en fiche que les blettes me fassent la langue râpeuse…

Marre, marre, marre de ces comités et leurs décisions collectives de « mieux vivre ensemble », même le papier toilette utilisé chez nous est choisi par le comité de l’immeuble, et niveau confort, on repassera. Où sont les papiers toilettes moelleux d’antan ? Au moins, avant, je faisais comme moi je l’entendais dans MES waters. Et moi, et moi et moi comme disait Jacques qui savait de quoi il parlait. C’est pas lui qui aurait eu le papier de verre choisi par le comité de l’immeuble !

Voilà, d’en parler je rêve d’un bon vieux papier triple couche, je le veux, là, maintenant. Ok Amazon détruisait les emplois et la planète mais on pouvait tout avoir en moins de 24 heures ! Hm, peut-être pas le meilleur exemple, mais bon, je veux ce PQ et je vais le trouver !

Camille m’appelle pour le loup garou des voisins, ils vont voir ce qu’ils vont voir !  Pour une fois que le Comité a une bonne initiative.

De retour… Ce n’est pas mon jour, loup 3 fois, débusqué au bout de deux tours, ce n’est pas mon jour, maintenant c’est sûr ! De toute façon, je ne pensais qu’à une chose : où trouver mon graal triple épaisseur rose bonbon.

Je trouve cela terrible de devoir perdre autant en confort. Je décide donc de me rendre dans la forêt à proximité qui a envahi l’ex-centre commercial polygone, car j’ai entendu qu’un contrebandier vendait des objets des années modernes et qu’il aurait bien probablement du papier triple couche. Au moment de m’échapper discrètement de la maison que je partage avec mes enfants et petits enfants, Camille mon petit-enfant me voit et insiste lourdement pour m’accompagner. Je refuse dans un premier temps car j’ai peur que ce contrebandier ne soit dangereux. Mais face à tant d’insistance et d’énergie, qui me rappelle ma jeunesse, je craque et je décide de l’amener avec moi. Sur le chemin, Camille me demande pourquoi je marche d’un pas aussi décidé et pourquoi j’ai l’air si agacé. Je lui raconte le récit de ma mésaventure avec le comité d’entreprise. Il me regarde d’un air interloqué. Il ne comprend pas pourquoi je suis aussi énervé pour une décision collective. Je me rends compte dès lors que son référentiel n’est pas le même que le mien et qu’il n’a jamais connu l’individualisme qui nécessite moins d’effort, même s’il était mauvais pour la planète. Il me demande pourquoi nous nous rendons dans la forêt. Je lui parle de mon époque où je pouvais utiliser du « triple couche ». Camille, interloqué, me demande : »Du triple couche, mais de quoi parles-tu ? Tu fais référence à l’isolation de notre maison ? » Et c’est à ce moment là que je m’esclaffe et comprends que je suis bien bête d’être aussi énervé et de chercher du papier toilette pour me consoler. Je me dis que j’ai passé l’âge de faire des caprices et que je n’ai qu’à m’émerveiller de ce chaud mois de février à Montpellier où les premiers fraisiers donnent leurs premiers fruits. Et que depuis plusieurs années, le mois de février est mon mois préféré. Mon petit-enfant et moi sommes de sacrés gourmands de fraises. 

Moralité : le papier toilette est plus rude en 2050 mais la vie est plus douce.