La tarte aux pommes

Récit imaginé par Sébastien Marrec, David Vilain, Aude Géant, Blandine Beloeil, Marie Pissoort et facilité par Hermel Jaworski dans le cadre l’atelier futurs proches réalisé le 16 mars 2021. 

Thème de l’atelier: Le lien dans l’adversité: 

Nous sommes en 2030. Notre quotidien est à présent entièrement impacté par le processus globalisé et évolutif d’effondrement de notre civilisation. Chaque jour, face à la déliquescence de la situation, nous sommes de plus en plus inventifs pour renforcer notre autonomie, nous organiser en communautés, développer des compétences insoupçonnées. Dans ce contexte, quels récits pouvons-nous imaginer pour créer, entretenir ou réparer des liens ?


Des pandémies se sont succédées depuis dix ans, les approvisionnements en énergie s’amenuisent, l’usage de la voiture s’est raréfié et la vie s’est réinscrit dans l’hyper-proximité. 

Alain, 42 ans, adjoint au maire de sa commune marche depuis des heures. Il n’est pas habitué, il n’aime pas ça, mais son village rencontre une difficulté et le maire l’a missionné pour trouver une solution, alors il est parti chercher de l’aide. Il a entendu parler d’un village autonome en énergie par plusieurs personnes de sa commune, alors que les difficultés liées au manque d’énergie s’accroissent. On ignore si c’est une rumeur – car les gens sont à la recherche du moindre espoir – ou si c’est une réalité…

– Ah merde ! Il est où ce village ? Ils pouvaient pas se paumer moins loin ??? Faut dire qu’on les a pas trop aidé… bon bref… 

Alain commence à être fatigué lorsqu’il aperçoit un groupe de quatre enfants, près de la route, paniers à la main à soulever les fougères. Ils semblent avoir entre 8 et 12 ans et sont en pleine cueillette dans la forêt. « Hum… des enfants, il doit bien y avoir des adultes pas loin » se dit Alain. Pourtant aucune trace d’habitation et aucun parent en vue ! 

Les enfants sont amusés par l’arrivée d’Alain, ça se voit qu’il est perdu, fatigué et sans repère. Encore un citadin qui n’est pas allé à l’école de la foret !…Il est dérouté car il ne sait pas à qui s’adresser ; il a le réflexe de s’adresser au garçon qui semble le plus âgé, mais c’est la plus jeune fille qui lui répond.


– Bonjour les enfants, que faites-vous par ici ? Ils sont où vos parents? Toi, mon grand, dis-moi, où est votre village, je suis perdu et j’ai des choses importantes à discuter avec les adultes de votre communauté.

– Bonjour Monsieur, moi, c’est Noémie, on peut vous aider? Vous inquiétez pas pour nous, on sait très bien se débrouiller, d’ailleurs à quoi cela nous servirait-il d’être avec un adulte? On ne fait que la cueillette des champignons ! 

– Euh, je ne sais pas, à vrai dire, j’ai quelques questions à poser à votre chef sur votre façon de vous gérer, vous pourriez m’emmener jusqu’à votre village?

– Un chef ? les enfants se regardent dubitatifs.

– Ben, dis nous, Monsieur ! Qu’est-ce que tu veux savoir? On fait partie du village aussi ! Toutes les décisions se prennent en groupe et nous, les enfants, nous avons notre mot à dire comme tout le monde. Si tu veux parler gouvernance, nous, on peut t’aider ! Tu veux savoir quoi exactement? « 

Au fur et à mesure de leur discussion, Alain comprend qu’il a affaire à un village très démocratique : les enfants y jouent un rôle substantiel et sont impliqués dans les décisions. Tout en discutant, les enfants emmènent Alain dans les recoins des environs, lui parlent de la nature qui les entourent, des champignons, des animaux, de leur manière de vivre et se nourrir. Alain est stupéfait par les vastes connaissances de ces enfants et par leur sagesse. Ils connaissent parfaitement les moindres recoins de leur environnement et les ressources de leur territoire. Les enfants prennent petit à petit la mesure du fossé qui les sépare avec Alain. Ils se demandent comment la communauté d’Alain peut fonctionner sans la mise en place d’une gouvernance partagée, sans partage des connaissances. Au fil de la discussion, Alain comprend que l’énergie n’est qu’un aspect de l’autonomie du village : c’est d’abord et avant tout le vivre ensemble qui leur permet d’être résilient. 

Dans le village les enfants connaissent tout des processus de fabrication de la nourriture et maîtrisent toute la chaîne. Alain est surpris par la diversité de ce qui est produit. Les enfants posent plein de questions sur ce que l’homme a vu, vécu et traversé mais se rendent compte qu’il est temps de rentrer car la nuit arrive. 

– Ah voilà ! On arrive au village ! Venez, on va prendre le goûter chez moi, y’a la salle citoyenne du village juste à côté. Vous seriez en hiver on vous aurait convié à nos séances de contes autour du feu mais il y aura toujours plein de gens, heureux d’échanger avec vous ! Vous verrez, la tarte aux pommes est super bonne, on la cuit dans notre four solaire ! C’est nous qui avons fait la cueillette la semaine passée.

– Ah, merci les enfants ! j’ai adoré discuter avec vous, ça fait plaisir de voir toute cette activité ici ! franchement, j’avais un peu peur en partant mais je sens que je ne suis pas venu pour rien !