La forêt de Gavarnie

Récit imaginé par Aude Casier, Valentin Alemany, Jeremy Dabadie, Nathan Parent, Géraldine Huet et facilité par Kristalna Perrody dans le cadre l’atelier futurs proches réalisé le 8 novembre 2021 en partenariat avec Désobéissance Fertile.

Thème de l’atelier:  Et si demain le Vivant disposait véritablement de droits? Comment nous habitant.e.s de la Terre, les ferions nous vivre?


Je suis Sylve, je suis un adolescent, je vis près de la forêt du cirque de Gavarnie. J’ai toujours vécu près de la forêt, au sein de l’exploitation forestière de ma communauté. Aujourd’hui n’est pas un jour comme les autres ! je suis complètement chamboulé par la décision que mes parents et les autres s’apprêtent à prendre vis-à-vis de notre forêt.Je vous raconte : ce soir, lors du dîner en famille, mes parents abordent un sujet qui met notre communauté en ébullition depuis plusieurs mois : à cause d’une sécheresse, des parasites se sont installés dans la forêt, aggravant la situation économique du village.

La forêt, notre principale source de revenus, risque de devenir inexploitable. Un groupement d’habitants a rédigé une lettre à l’Organisation Mondiale de la Terre afin de demander l’autorisation de faire une coupe rase. Je ne comprends pas cette réaction excessive, et je décide de m’isoler quelques jours dans la forêt. On m’a toujours appris que c’était le meilleur endroit pour calmer sa colère et se recentrer. Et si en plus c’est ma dernière occasion d’y passer du temps, alors je veux en profiter au maximum !Toujours super vénère, je décide de construire une cabane que j’ai appelée « la cabane de la réconciliation ». Après quelques jours de construction assez chiants, Je décide de m’y installer avec quelques affaires, en acte de résistance face à la communauté. J’ai pris cette décision en faisant un choix relou entre ma famille et la forêt que je kif. Dans ma super cabane, j’y recueille les animaux blessés ou victimes de la sécheresse et je confectionne tout moi-même. Soudain, un flash me revient dans lequel je me revois en classe, quand nous avons évoqués les droits du vivants selon les règles de l’OMT. Alors quoi, ils ont déjà oublié tout cela ? Pris aux tripes, j’entends comme une voix dans ma tête, une voix mystérieuse et envoutante, pas de doute possible, c’est la forêt qui m’appelle, j’en suis sûr ! « Viens mon petit, viens vers moi » me répète-t-elle avec insistance.

Deux jours plus tard, j’entends encore des voix qui résonnent dans les sous-bois. Mais ce n’étais pas la même que que l’autre jour, bizarre. Dame Nature aurait-elle plusieurs voix ? Après une petite hésitation, je finis par reconnaitre la voix de Pauline, ma meilleure amie. Je l’aperçois dans la pente, accompagnée de Monsieur Prunet, notre encadrant scolaire. J’avais presque oublié que je manquais les cours depuis plusieurs jours ! « Aïe, aïe, aïe, je vais me faire gronder, galère ! » disais-je à haute voix dans ma cabane. Cependant, je vis que tous, paraissent soulagés de me voir sain et sauf, si bien qu’ils ne me grondent pas. M. Prunet m’invite à rentrer au village, parce que d’après lui mes parents s’inquiètent. J’en doute ! Ils ne se préoccupent pas de la forêt, pourquoi cela serait-il différent pour moi ?Après une soirée chargée en émotions, me revoilà assis au sein de la classe. Aujourd’hui elle prend une drôle d’allure : les médiateurs dépêchés par l’OMT pour arbitrer mon combat contre les partisans de la coupe forestière sont arrivés tôt ce matin. Il y avait de la brume dans les arbres et un mince rayon de soleil éclairait les ruelles du village. Ils étaient trois, deux femmes qui se ressemblaient étonnamment, à tel point qu’on aurait dit des jumelles, et un vieux bonhomme, qu’elles semblaient trainer derrière elles. Elles ont parlé à beaucoup de monde. Elles sont rentrées dans les boutiques, ont toqué aux portes. L’autre écoutait les échanges, trainant à un carrefour, regardant les devantures. Après un bon moment, les trois médiateurs ont proposé aux habitants de se réunir à l’orée du bois.

Les murs de ma cabane se devinaient entre les écorces de pin. De loin, on aurait dit un mystérieux objet, posé là, dans la forêt. Puis, le vieux monsieur qui semblait avoir totalement disparu derrière ses deux collègues, surgit soudainement  et s’exclama « Merci à tous d’être venus. Nous avons pris le temps de vous rencontrer aujourd’hui, de voir vos vies. C’est important de nous retrouver dans cette forêt qui vous a tant apporté. Nous comprenons à quel point vous avez besoin de cet argent pour continuer à nourrir vos enfants, à faire perdurer vos commerces. Nous avons entendu que vous aviez du mal à comprendre la révolte de Monsieur Sylve FICTIF. Que vous aviez du mal à saisir son combat pour la forêt. Pour le « Vivant » dont nous faisons tous partie ». A ces mots, quelques voix se sont élevées dans l’assemblée. Il y a des regards d’incompréhension ou d’agacement.Après un petit silence, l’une des deux femmes repris la parole « Nous aimerions à présent vous proposer de vivre un moment un peu particulier. Un peu différent. Pour essayer de comprendre ce qu’il a envie de vous dire. Nous allons pour cela nous appuyer sur l’expérience qu’ont vécu d’autres villages, dans d’autres régions, près d’autres forêts, que certains d’entre vous ont sans doute déjà vécu enfant »

De là, ils nous ont proposé un rituel de reconnexion, comme ils l’appellent. Nous avons du chercher un arbre dans la forêt, que l’on trouvait beau et puis, poser une main dessus. Ressentir l’écorce sous notre main, sentir l’odeur de résine. Certains ont trouvé ça bizarre, voire franchement déconnant. Les enfants se sont intéressés les premiers. Leurs parents les ont suivi tant bien que mal, puis petit à petit, tout le monde était là, appuyé sur son pin. Au bout d’un moment, les expressions étonnées et les rires nerveux, ont laissé place à un silence saisissant, un silence sacré.Grâce à l’arrivée de l’OMT chez nous,  les esprits se sont un peu apaisés. Le rituel de reconnexion au vivant a été une expérience complètement ouf !  Je crois bien que les plus touchés ont été les adultes. Les soucis économiques de la communauté les ont tellement éloignés de la forêt qu’ils en ont oublié les préceptes qu’ils nous ont appris au berceau… ça a été génial de voir chacun se reconnecter à son arbre Totem. Papa avait même oublié le nom du sien. Je crois qu’il avait un peu honte. J’ai retrouvé les rires résonner dans la forêt comme quand j’étais petit. J’ai cru voir briller un étincelle de fierté dans le regard de ma mère après le rituel et ses dernières semaines de bras de fer entre nous. A présent, je cède la parole à mon père. 


Je suis Ethan, exploitant de la forêt de Gavarnie, père de Sylve. Je viens de la forêt du cirque de Gavarnie et aujourd’hui je viens de vivre un grand moment de reconnexion et de prise de conscience de la valeur du vivant. Et surtout, je me suis réconcilié avec mon fils, quel grand moment ! en échangeant avec nos enfants et les gens de l’OMT, nous avons finalement trouvé des solutions auxquelles nous n’avions pas penser. Aujourd’hui j’ai compris que nos enfants ont de la ressource et sauront prendre soin du vivant ; ils auront le courage de nous rappeler cette Charte des Droits du vivant, pour laquelle nous nous sommes battus il y a quelques décennies. Merci à eux, et surtout, merci à mon fils !