Jô la râleuse à la fête…

Récit imaginé par Zoé LE MONNYER, Quentin SOISSONS et Lucien BONHOMME et facilité par Karine LE FLANCHEC dans le cadre l’atelier futurs proches réalisé le 21 mars 2022 en partenariat avec l’ADEME

Thème de l’atelier : Et si en 2050, la France était neutre en carbone ? Quel serait le quotidien de ses habitants, dans une France qui a choisi de développer les coopérations territoriales pour atteindre cet objectif (scénario 2) ?  


Bip… Bip… Bip… 

Le réveil sonne : « Merde »

Je regarde l’heure : 18h30 je sors de la sieste rapidement, enfile ma veste , je dois filer retrouver Elodie. Ma petite fille m’avait donné rendez-vous à la fête de la neutralité. Je sors de la résidence verte. C’est un ancien centre commerciale transformé en habitation partagée, plutôt bien pensé avec des toits végétalisés sur lesquels j’aime passer du temps à jardiner et travailler la terre. Je grimpe sur un vélo partagé. Et dire qu’avant j’aurais pu être bien au chaud et confort dans ma voiture. Remarque, comme il n’y a plus beaucoup de voiture individuelle, des sections de route entière sont privilégiées pour les deux roues bas carbone. Le luxe!

En sortant de chez moi, je vois de loin la mairie. C’est redevenu une place centrale maintenant. On y décide les changements à opérer au niveau local tous ensemble. C’est plutôt long et chiant, donc je laisse ça aux autres. Mais bon, ça a le mérite que les décisions sont plus à même de répondre aux spécificités locales et environnementales. Ils ont réglé les problèmes de gestion des espaces entre agriculteurs et citadins. L’une des décisions majeures a d’ailleurs été la coopération entre Montpellier et le Département de l’Hérault, qui a permis de créer la première usine de revalorisation des rebuts électroniques de la ville pour leur réparation et ou leur réemploi sous de nouvelles formes.

Attend mais?! Ha oui, c’est bien, ça je commence à reconnaitre le lieu de rendez-vous de la Fête. C’est l’ancienne station-service de Montpellier Sud. Impressionnant ce changement, j’aurais pas reconnu sans l’ancienne pub. La décoration et la nature ont repris ce lieu de l’ancien monde. 

Je gare mon vélo à côté de la masse de vélos cargos des exposants.

Tiens c’est marrant c’est une délégation de Saint Etienne qui gère et va réviser les vélos. C’est génial qu’ils soient venus et aient réussi à relancer des productions massives de vélos chez eux avec une énorme partie de recyclage. Alors que c’était la dèche pour eux il y a 30 ans, ils ont bien rebondi!

Regarde-moi ce rassemblement, ça a quand même bien changé ! Pfff,… J’en ai marre de lever les mains pour dire que je suis d’accord. Je préférais quand on sortait du stade parce que Montpellier gagnait tout le temps au foot et au rugby. Dans mes souvenirs, ça avait quand même plus de gueule. Ca me manque moi, cette odeur de graillon et de junk food, des saucisses trop grillés… Et puis merde, on est français. C’est quand même chiant de ne plus pouvoir râler et de toujours écouter l’autre ! En même temps, ça devenait n’importe quoi, avec les places à 180 euros par personne.

Ça a bien changé quand même… Je me souviens qu’on évacuait le centre-ville parce que ça devenait invivable avec les inondations, la flotte jamais quand on en avait besoin ! On était comme des canards de septembre à octobre.

Ooooh si on m’avait dit ça quand j’étais minot.

Ça joue bien en tout cas. C’est marrant, c’est vachement plus mélangé qu’avant. T’as pas les riches d’un côté et les classes populaires de l’autre. On sent que les gens se rencontrent vraiment. Ça a bien bougé, quand les stars sont descendues de leur monde et sont venues nous aider pour les inondations. Et quand ça cramait la garrigue, là derrière la station et qu’on était tous flippés. Franchement, l’entraide des plus aisés et puis les autres territoires qui nous ont accueillis, C’était bien l’arrière-pays qui a organisé notre ravitaillement… J’y croyais pas. Moi, je me disais ça va partir en vrille rapidos et on va se retrouver comme en Russie en 2025 quand tout le secteur était parti en cacahuète.

Oh d’ailleurs c’est Viktor là : « tu vas bien l’Ukrainien !? »

Attends mais c’est la fille de Manu là.

« – C’est quoi ton truc sur la tête là ?

– Ça Jô, mais aujourd’hui je représente le guêpier d’Europe.

– Oh je croyais que tu faisais la mante religieuse!

– T’es bête Jo ! » 

Fini les gamins déguisés en Mickey ou en bouffonnerie américaine ou japonaise, les modèles sont locaux maintenant! Tiens, le stand d’Angoulême propose des cours de dessin et de recyclage de BDs

Réunir tous les Français autour de ce projet c’est fou quand même.

Et là, j’arrive au stand d’expression libre et je sors mon texte que je ressasse depuis des jours : « comment l’entraide territoriale a changé ma vie de Montpelliéraine aigrie ». J’adore en fait partager. Ca avant je ne pouvais tellement pas. Mais quand j’ai rencontré tous ces gens qui venaient de partout et qui ont trouvé un havre de paix dans cette société sobre qu’on a réussi à bâtir en France, ça a réparé un truc cassé en moi.

C’est vrai, j’ai râlé sur mon vélo durant mon voyage Tour de France des régions, pendant deux ans. Mais j’ai ramené plein de savoirs positifs pour mon pays. J’ai trainé. J’ai pris tellement de claques, juste en parlant avec tous ces anciens migrants. Et au retour, j’ai mis au panier commun toutes ces histoires, pour les partager.

Je me ressers un petit morceau de pain. Il paraît que c’est Etienne qui fait ça, à 30km de la maison. C’est marrant, l’odeur me rappelle celui de ma grand-mère. Je la revois pétrir, des heures durant, dans la maison de l’Ardèche. Peut-être que je pourrai m’en procurer la prochaine fois. Mais à vélo, 30km c’est peut-être beaucoup. Ah non, je demanderai à Marcel d’en prendre pour moi. Lui n’est qu’à 15 km, ça coupe la poire en deux. Je me souviens qu’avant, c’était compliqué de trouver du bon pain. Finalement, pendant presque 30 ans, j’ai mangé que des baguettes blanches, qui n’avaient aucun goût. C’était toujours les mêmes farines. Et puis j’avais mal au ventre tout le temps. Le steak frite baguette au déjeuner, c’était indigeste. C’était peut-être pas si bien. Maintenant, une tranche de pain de campagne et des petits légumes marinés, ça me cale pendant des heures. C’est plus sain. Peut-être que ces écolos n’ont pas tort finalement. Peut-être que revenir à des vieilles semences pour des farines plus variées, ça a du bon. En tout cas, mes intestins sont contents. Plus besoin d’aller chez le médecin tous les quatre matins. De toutes façons, il n’a plus que des plantes à me donner. Ce qui est peut-être aussi bien. J’ai pu acheter quelques huiles essentielles sur un des corners (enfin, je n’oserai jamais utiliser cet anglicisme, maintenant on dit des « présentoirs »… ah ! quelques restes de ma vie de marketeuse tout de même, on ne se refait pas). Je ne savais pas qu’ils en faisaient en Camargue. Ils ont gardé le savoir-faire. C’est top ça ! 

Bon, je passe devant le stand de la vie locale… Ils ont écrit sur un tableau la date de la prochaine fête… Je crois bien que je serai de la partie. J’essaierai de convaincre Valou de venir avec moi. On s’amusera un peu. Ça la sortira de sa morosité. Ça sera chouette. Enfin, faut voir, parce que ce sera l’automne déjà. Et faudrait pas qu’on se fasse avoir par un épisode cévenol… à vélo c’est moins fun qu’en merco !

La bouche pleine, Élodie me saute dessus. Je postillonne de bonheur. Main dans la main, on se dirige à nouveau vers le cercle de parole. J’avais prévu de soulever tous les points qui me fatiguent au quotidien : comment je ferai quand j’aurai plus la force de faire du vélo pour me déplacer, ou quand un feu nous aura quand même ravagé… Mais je réalise que ma petite fille est heureuse : elle sait s’occuper du potager, elle se déplace partout à vélo. L’année prochaine, elle fera partie du conseil municipal jeune pour améliorer les lois. 

Je suis Jô la râleuse, à reculons qui met son énergie au service de sa petite fille, de ses voisins, du conseil de quartier, .  Je cultive mon râlage, surtout à la sortie de la sieste pour ne pas être trop sympa quand même.