Fatiguée

Récit imaginé par Alicia, Thibaut, Nicolas et facilité par Perrine dans le cadre de l’atelier futurs proches réalisé le 25 mai 2023

Thème de l’atelier : Et si la France était neutre en carbone en 2050, dans le scénario 3 , technologies vertes ?


2/1/2050

Fatiguée.

Fatiguée de cette routine. Moins d’élan en ce début d’année. Ça fait longtemps que je ne suis pas allée en montagne. C’est fou on a plus de machines pour tout, mais ça ne nous libère pas plus de temps pour vivre ! 

C’est de plus en plus compliqué au restau. Moins de clients… Les gens se déplacent de moins en moins pour partager un repas. Ils préfèrent commander ou manger ce que leur frigo leur a programmé devant des séries en streaming. En plus ils se convainquent qu’ils s’éviteront un infarctus parce qu’ils mangent équilibré et vont à la salle de sport, mais s’ils le font seuls devant leurs écrans sont-ils vraiment en meilleure santé ? Et puis à quoi ça sert d’être en bonne santé si c’est pour vivre tout seul chez soi à télé-travailler sur ordi puis regarder des séries ?

En plus cette année je n’ai pas vu Thomas à Noël. Il m’a envoyé un simple message de bonne année. J’ai envie de l’appeler mais depuis notre dispute c’est compliqué…

Je ne perds pas espoir ; je vais essayer d’organiser des soirées à thèmes : le karaoké, ça pourrait peut-être marcher ?

FÉVRIER

Et voilà, je suis expulsée de mon restaurant et je dois rembourser tous mes créanciers. Je n’ai plus un sou, je quitte Voiron et pars m’installer à Grenoble dans un immeuble construit en 1998, promis à la démolition l’année prochaine. Dans les étages, des squats où je passe la nuit avec des misérables comme moi. Au RDV, des dark kitchens où je prépare des chicken massala à la chaîne, envoyés dans toute la région par des drones de livraison. 

MARS 

Suite à l’effondrement d’un escalier, la démolition de mon immeuble est avancée : je perds à nouveau mon job et mon logement le même jour. Je passe une nuit glaciale dans la rue et me résous le matin à faire ce que je n’aurais jamais imaginé faire : appeler Thomas pour lui demander de l’aide. 

AVRIL

J’ai un vrai toit, mais j’aurais préféré ne pas découvrir ce qu’est devenu mon fils. Il passe ses journées en hologramme dans des réunions aux 4 coins du monde et le soir il retrouve sa “copine” dans le métaverse. Il vient de m’avouer sans complexe qu’il avait choisi l’avatar de celle-ci sur mesure et qu’elle avait une IA à la place du cœur et du ciboulot. Y’a de l’ambiance à la maison ! 

MAI

J’ai compté, Thomas m’a adressé la parole 3 fois en un mois. J’ai le cœur en miettes. 

JUIN

Il vient de se faire larguer par son robot ! A son tour d’être en miettes, je ne sais même pas si j’ai envie de l’aider à se relever. 

JUILLET

Des pirates apatrides ont piraté les oléoducs et les gazoducs qui fournissent encore 30% du jus en France. Des coupures d’électricité régulières ont fait planter internet, Thomas s’emmerde ferme. Je lui ai proposé d’aller boire une bière au bord de l’Isère au soleil. Il a fallu batailler ferme mais j’ai réussi à le bouger. J’ai passé la meilleure soirée de l’année. Il n’a rien montré mais je crois qu’il a bien aimé aussi. Il a réussi à prendre un coup de soleil à 19h ce con là… 

AOÛT

Depuis notre soirée, je rêve de monter une guinguette au bord de l’Isère. Je suis en train de préparer un plan d’attaque pour embarquer mon fiston dans l’histoire : j’ai préparé tout une liste de films à lui montrer pour qu’il comprenne toutes les vertus d’un endroit où manger et boire en plein air avec du monde autour ! 

Thomas a aidé sa mère à monter une activité de restauration où le lien social est l’élément central de son concept. 

Idées : Slow food. Du potager à l’assiette on cueille ce qu’on veut manger et on le prépare ensemble avec la chef. Préparation de repas à partager. 

Intégrer la technologie pour rendre ce moment possible ? 

Connecter les habitants de la commune ensemble 

Mutualisation des compétences, préparation et partage du repas.

– Donner ou cultiver la nourriture

– Préparer et cuisiner

– Nettoyer et administrer

– Animer

SEPTEMBRE

Le projet est lancé, Thomas va m’aider.

OCTOBRE

J’ai eu mon soutien décisif pour que le projet prenne forme.

NOVEMBRE

Le projet prend forme, le bâtiment est terminé et opérationnel. La terrasse a été posée avec du bois de récupération que les habitants ont fourni.

Thomas a été d’une grande aide pour connecter tout le village et rendre la communication et la coordination possible.

MI-DÉCEMBRE

Je me suis engueulé avec Thomas. Il quitte le projet.

24 DÉCEMBRE 2050 – 20h00

La ginguette est prête, les guirlandes sont disposées. Il ne manque plus que les habitants de Voiron.

Seulement certains d’entre eux se pointent, le concept ne semble pas avoir fonctionné malgré les efforts que j’ai fournis.

Je pensais que Thomas serait là, mais il avait décidé de se ranger derrière la pression de ses amis qui se moquaient de mon initiative.

J’ai bien senti que les habitants n’étaient pas totalement convaincus. J’aurai espéré avoir un peu plus de monde.

Il y avait Mr…. et Mme qui ont été les premiers à me faire confiance. 

24 DÉCEMBRE 2050 – 21h00

Je m’apprête à ranger les affaires en pensant que ce serait la première et la dernière fois que j’essaie.

Le repas ne sera pas préparé, et j’envisageai de passer les fêtes de Noël seule, sans le lien que j’espérais. 

Quand soudain, au loin j’entendis notre chanson, celle que Thomas et moi avions l’habitude de mettre pour danser. Cette chanson qui nous a suivi toute son enfance.

Petit à petit, je vis au loin approcher ce qui semble être une chariote tiré par un cheval. C’était lui, Thomas. Il était assis, tenant les rênes. Derrière lui des dizaines d’anciens de la commune. Des hauts-parleurs des drones rameutaient les habitants qui faisaient la queue derrière lui. 

Une file interminable s’approchait de la ginguette.

24 DÉCEMBRE 2050 – 22h30

A présent tout le monde était là. Nous étions tous à l’ouvrage pour préparer ce banquet de Noël partagé.

Les sourires étaient radieux, la bonne humeur transpirait.

Les gens se parlaient, apprenaient à se découvrir, certains habitaient à côté sans le savoir, d’autre ignoraient qu’ils travaillaient dans les mêmes entreprises car ils n’avaient échangé que par mail. La magie semblait fonctionner.

La question n’était plus « Est ce qu’il y aura assez de monde, mais plutôt  » Aurons nous assez de quoi nourrir toutes ces bouches « . J’étais inquiète, j’avais peur que les gens restent sur leur faim et finissent par partir trop tôt. Nous ne pensions pas être si nombreux. 

24 DÉCEMBRE 2050 – 22h45

Quelques habitants arrivaient encore mais nous ne pouvions pas leur servir quoi que ce soit car tout avait déjà été bu et consommé. Qu’importe, l’important n’était pas de manger mais de se reconnecter. En face, s’était amassé la jeune génération qui nous regardait avec curiosité. D’abord en se moquant, mais plus le monde arrivait, plus les rires éclataient, plus les sourires inondaient les visages et plus ces jeunes restaient sans voix. Les railleries avaient laissé place à de l’envie. 

Je pouvais distinguer au loin des jeunes qui discutaient et qui n’étaient pas d’accord. Certains voulaient rejoindre la fête, d’autres restaient sur leur position. 

Et puis, soudain, un jeune est arrivé de nulle part, une bouteille de Chartreuse à la main. Accueilli comme un sauveur, il commençait à servir tout le monde en faisant connaissance. 

Il n’aura pas fallu attendre longtemps avant de voir d’autres jeunes arriver chacun avec une boisson ou de la nourriture.