Epiphanie du vivant

Récit imaginé par Jonathan Attias, et facilité par Maloue dans le cadre l’atelier futurs proches réalisé le 25 septembre 2021 à Abjat, en partenariat avec Désobéissance Fertile

Thème de l’atelier: Et si le Vivant disposait véritablement de droits ? Comment nous, habitant.e.s de la Terre, les ferions nous vivre ?

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Il était là, au centre de l’assemblée.
Il pensait qu’il avait été amené jusqu’ici pour se justifier.
Il tenait dans ses bras toute une pile de documents comme autant de preuves que sa démarche était juste.
Les autres dans l’assistance l’observait, quelque peu intrigué, pendant qu’il mettait ses idées en place.
Ambroise pensait être jugé, peut être même condamné, or il n’en était rien.
S’il était présent aujourd’hui au milieu des habitants de Marval, c’est parce que l’opportunité lui était donnée de parler au nom des arbres qu’il avait autrefois coupé et d’exprimer ce que ces êtres vivants pouvaient ressentir, eux mais aussi la Terre qui avait été brutalisée et les animaux qui se sont fait délogés.
Il avait l’occasion pour la première fois de réfléchir à ce qu’il ressentait, non pas comme un chef d’entreprise comme il l’imaginait, mais comme un être vivant sur cette Terre.
Ambroise était désemparé face à cette proposition.
Sa bouche s’ouvrait mais aucun son ne sortait.
Progressivement, ses lèvres se sont mis à trembler et après quelques secondes, il explosa en sanglots en marmonnant des phrases inaudibles pour l’assistance.
Seules quelques bribes émergeaient et on pouvait distinguer des expressions comme « … je savais pas qu’ils étaient vivants … » « … j’avais un crédit à rembourser… ».
Aux quatre coins de l’assemblée, des gardes se sont levés et ont commencé à se rapprocher du prévenu jusqu’à l’encercler.
Ambroise sentait son heure arriver.
Il tomba à genoux et tendit ses poignées, résigné à se faire menotter puis embarquer en cellule.
Après un long silence durant lequel ils l’observaient, les gardes se mirent à genoux à leur tour pour se retrouver à la hauteur d’Ambroise.
Chacun leur tour il le serrèrent  dans leur bras en lui glissant une parole.
Le premier lui dit : « Je suis la forêt et je te pardonne pour ces destructions. »
Un autre lui succéda et dans son étreinte souffla : « Je suis la rivière polluée, les poissons morts et les organismes asphyxiés. Merci de nous considérer désormais. »
Tandis qu’il se laissait serrer dans les bras, Ambroise sentait les larmes couler le long de ses joues sans rien ne pouvoir y faire.
S’il pleurait, c’est parce que pour la première fois de son existence, il se sentait appartenir à la communauté des vivants, lui cet exploitant forestier qui ne s’était  jamais autorisé à exprimer de quelconques sentiments.
Il se vit pleurer et un immense sourire éclaircit son visage, ce visage marqué par des années de stress et de fatigue.
Son premier réflexe fut de desserrer son nœud de cravate qui l’avait étouffé toute  sa vie durant, lui empêchant de s’exprimer librement.
Après s’être massé délicatement le cou, il gonfla ses poumons et se mit à crier de toutes ses forces comme pour se libérer du poids qu’il portait sur ses épaules.
A le voir, Ambroise se sentait libéré.
Une fois le cri passé, il se releva doucement et se mit à marcher vers la sortie sans considérer les autres membres de l’assemblée.
Non pas qu’il leur manquait de respect mais on aurait dit qu’il était absorbé par ses pensées.
Les habitants présents se sentaient satisfaits car cette fois il n’avait pas eu à intervenir dans le processus de guérison.

Depuis ce jour, plus personne à Marval ne vit Ambroise dans les parages.
Toutefois, la rumeur courait qu’après avoir quitté l’assemblée, il était parti vivre dans la forêt et qu’il prenait soin d’honorer une promesse qu’il s’était fait à lui-même : celle de devenir à tout jamais, un gardien de cette forêt