Du saxo au boulot

Récit imaginé par Mathieu Auger, Anne Clément, Bernard Gagnet et Ethan Tarragano, et facilité par Hélène Chesnel dans le cadre de l’atelier organisé par Imagine LA et futurs proches le 3 avril 2023.

Thème de l’atelier :  Et si, en 2050, nous travaillions dans un cadre coopératif, bienveillant et attentif ?


Le jour où j’ai rencontré Coralie, c’était un matin brumeux de l’automne 2047. Elle poussait pour la première fois la porte de notre SCOP Arch’utopie. C’était, m’a-t-elle dit, le dispositif Respir’action qui l’avait motivée à venir nous rencontrer. Civin, le promoteur immobilier qui l’embauchait, avait été l’une des premières entreprises à mettre en place ce dispositif en 2035. Il permet aux employés de découvrir le fonctionnement d’autres entreprises, pour s’en inspirer. Coralie, architecte, y a tout de suite trouvé un intérêt et une belle occasion de respirer un peu.

Il n’a pas fallu longtemps pour que je saisisse les raisons profondes de ce besoin. Il était évident que Coralie n’allait pas bien dans son travail : pression de ses collègues, manque de reconnaissance de ses compétences, frustration liée à l’immobilisme de son entreprise pour une architecture plus vertueuse, manque de sens, management peu attentif à sa réalité personnelle. Coralie avait beaucoup à dire sur son entreprise et cela pesait de plus en plus sur ses épaules de maman solo.

Seule avec ses trois enfants en bas âge, elle vivait à Vieillevigne à près d’une heure de son travail sur l’Île de Nantes. Les journées étaient denses pour cette musicienne dans l’âme. Elle m’avoua qu’à ce moment de sa vie, ce n’était plus la musique qui donnait le tempo et, faute de temps, elle avait du dire adieu à son saxo et à sa fanfare.

La longue discussion que nous avons eu ce jour-là lui a permis, je crois, de mettre le doigt sur des pratiques qui la mettait en souffrance dans son travail.  Elle a été, par exemple, très surprise de constater que, à Arch’utopie, l’ensemble des décisions sont prises de façon collégiale, que chacun peut contribuer à alimenter la vision à long terme et que chaque personne connaît le métier de l’autre grâce à un parcours immersif.

Je me souviens qu’à la sortie de notre longue conversation, Coralie était repartie avec l’idée qu’elle avait besoin de tout arrêter. Grâce au dispositif de déconnection mis en place par son entreprise, elle a pu s’accorder une pause, du temps pour elle, pour ses enfants et pour réfléchir à son avenir. Au bout de cette période de deux mois, coupée de son entreprise, elle a décidé de revenir avec des idées nouvelles et de les partager. Elle m’a proposé de l’accompagner pour témoigner et échanger auprès de ses collègues. On a d’abord rencontré l’ambassadeur de son service, chargé d’écouter les difficultés personnelles et professionnelles des salariés. A ce moment-là, je crois qu’elle n’imaginait pas vraiment tout ce que ça allait déclencher !

Car aujourd’hui, trois ans plus tard, bienveillance et valorisation de la complémentarité sont ancrées dans les pratiques de son entreprise. Des groupes d’échange laissent plus de place aux émotions de chacun, permettent de mieux repérer les personnes en souffrance. Grâce au système de rotation des équipes managériales, chacun a l’occasion de mettre en valeur son expertise. En découvrant les activités de tous, chacun comprend mieux le rôle de l’autre. L’initiative personnelle est perçue comme un apport d’expertise. Elle n’est plus considérée comme un poil à gratter. Elle est au contraire valorisée par l’encadrement.

C’est ainsi que Coralie est devenue référente de la cellule prospective pour anticiper les changements liés au climat, à la raréfaction des ressources et de l’énergie. Elle s’appuie sur l’expertise de chacun pour envisager des solutions d’avenir. Cette cellule, c’était son idée à Coralie et son entreprise l’a suivie. Tout comme pour la création d’une fanfare d’entreprise. Désormais, le saxo, c’est au boulot !

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