Drones et céramique

Récit imaginé par Noémie BRETON, Vincent DOUBRERE, Mathieu GRANDPERRIN et facilité par Lucien SCHILTZ dans le cadre l’atelier futurs proches réalisé le 21 mars 2022 en partenariat avec l’ADEME

Thème de l’atelier : Et si en 2050, la France était neutre en carbone ? Quel serait le quotidien de ses habitants, dans une France neutre en carbone, grâce aux technologies vertes (scénario 3) ? 


 11h30, Lyon. 

L est en train de se laver les dents avec sa brosse connectée lorsqu’elle aperçoit du coin de l’œil une étoile filante. C’est une notification de l’application Starjobfinder, installée sur ses lunettes smartintelligentes. C’est une proposition d’emploi ! Depuis le temps qu’elle attendait que les algorithmes de matching lui trouve un boulot. L’offre vient d’Agrodrone, apparemment une entreprise qui fait du suivi de culture et du contrôle biologique à distance. On lui propose de devenir télépilote de drone agricole dans des plantations de palmiers à huile en Indonésie, sans avoir à bouger de son canapé.

L’offre colle plutôt pas mal avec son profil. L a fini des études d’agronomie il y a un an et demi. Elle avait bien reçu une proposition pour gérer des championnionières OGM des caves de Brest, mais elle avait fait la fine bouche. Mais aujourd’hui, elle n’a plus vraiment le choix : son revenu étudiant s’est terminé. 

Pourtant L a plutôt envie de quelque chose de manuel. Depuis toute petite, elle a une passion : la céramique. Et puis il y a M, qu’elle a rencontré sur Starlovefinder. M est sensible, empathique… et elle aime ce petit frisson de transgression quand elle parle avec lui par écran interposé. Car M ne vit pas comme tout le monde. Il habite une tiny house, et n’est pas du genre très tech. 

Est-ce que M sera toujours d’accord pour qu’ils emménagent ensemble si elle accepte ce job ? Son labrador a l’air de beaucoup l’aimer en tous cas, c’est bon signe.  Tout plaquer, c’est dire adieu à un statut, à un salaire confortable, à la valeur de son diplôme, et une jolie résidence passive au cœur de Lyon.

Après avoir hésité longuement, presque pendant 2 jours – c’est le délai maximum avant d’être rejeté par l’application – L a décidé de laisser une chance au job chez Agrodrone. De toute façon, il faut bien rembourser son crédit pour sa voiture autonome. 

Mais finalement, les yeux sous son casque VR 8 heures par jour et en horaires décalés à cause des fuseaux horaires, le fait de ne jamais avoir vu aucun membre de l’entreprise, a fini par supplanter son confort et les réductions sur le Nutella. L qui était présidente de l’association des jardins potagers partagés a arrêté d’y mettre les pieds par faute de temps. Elle a été remplacée par A, qui n’attendait visiblement que ça. Elle met toutes les cultures de fleurs à mal sous prétexte que ça ne se mange pas. Pour L, ce n’est rien y connaître en agronomie et bien trop compter sur les engrais ! 

Avec ce travail, c’est à peine si L discute encore avec M sur Starlovefinder. Heureusement que son chien vit avec elle dans ses 35m2, sinon elle n’aurait eu ques les drones de livraison avec qui parler – ou plutôt donner des consignes vocales. Mais même pour le sortir, elle commence à manquer de temps.

Un jour de fin d’hiver, pluvieux et presque froid, L se surpris à allumer ses lunettes pour télécharger une application (StarToutoufinder, comme vous vous en doutez) pour qu’un drone se charge de promener son labrador tout les jours à 13 heures précises – cela permet d’éviter d’y aller le matin et le soir, pour la modique somme de 40 euros par mois. Au moment d’appuyer sur le bouton « ajouter » du Star Store, L se rend compte de l’absurdité de son geste. D’un même élan, elle décide de démissionner. Il suffit d’une signature numérique auprès de son patron-ordinateur. 

Après deux jours d’hospitalisation épouvantables durant lesquels on la bourre de médicaments et de discours moralisateurs, M apparait dans la pièce comme, non pas comme un messie mais comme un homme qui lui donne enfin un regard compréhensif et aimant :

« Tu peux remercier ton chien tu sais… grâce à lui, tu as compris que tu te perdais. Je ne sais pas si je saurai veiller sur toi aussi bien que lui, mais j’aimerais que tu essaies de penser à ma proposition ». 

EcoLyon, l’écolieu dans lequel vit M, cherche justement un pilote de drone pour transporter les aliments et l’artisanat qu’ils produisent sur place mais aussi pour aller chercher des ressources à l’extérieur du village, qui est éloigné de la ville. 

Ecoeurée par son expérience, L ne se voit pas aux commandes d’un drone mais elle décide de transmettre ses connaissances à M, qui saura en faire bon usage pour le développement d’Ecolyon. L se plonge quant à elle corps et âme dans son activité de céramiste.