Des sternes et des crues

Récit imaginé par Ambre Masure, Michèl Chatereau, Emmanuelle Dunand et Géraud de Saint Albin et facilité par Mathilde Guyard dans le cadre l’atelier futurs proches réalisé le 15 novembre à Bourges lors de la sixième journée de la COP Centre Val de Loire.

Thème de l’atelier :  Et si en 2035 la Loire était devenue une personnalité juridique ? 


– Mamie, mamie, tu ne nous as jamais raconté la naissance de maman, comment ça c’était passé ? Raconte-nous !

– Oh si vous saviez mes petites sternes tous les périples que j’ai vécu cette année là pour donner naissance à votre Maman…

– Dit nous tout Mamie !

– Très bien, installez-vous confortablement. Cette année-là, après un hiver doux, j’ai voyagé jusqu’aux bords de la Loire. Sur le chemin tout allait bien : les vents étaient des plus favorables. J’avais trouvé un magnifique banc de sable, tout sec à la Charité sur Loire : des conditions idéales. Je me suis installée et confortablement, j’ai pondu 4 beaux œufs.

Alors alanguie sur mon nid, apaisée par la musique du vent dans les saules, j’ai soudainement ressenti une inquiétante fraîcheur. Le soleil avait disparu, l’horizon était devenu gris, puis noir et très noirs et les amis du fleuve s’étaient tus. Le ciel se déchira et déversa des pluies si fortes qu’elles devenaient plus puissantes que le fleuve. Notre petite langue de sable, où nous avions fait nos nids disparut alors que le ciel se noyait dans le fleuve. Le temps de s’envoler, ma petite fille, et le fleuve avait tout inondé.

J’étais dévastée. Perchée sur un peuplier noir centenaire, je pleurais la perte de mes œufs. C’est à ce moment que j’ai entendu les naturalistes.

L’un de ses quatre oisillons l’interrompt : « Mamie, c’est quoi un naturaliste ? ».

Ce sont des alliés de la nature, ils nous observent à la longue vue, nous étudient, comprennent notre mode de vie et nous aident parfois. Par exemple, ils mettent des panneaux pour alerter les promeneurs de la présence de nos nids au sol pour éviter que nos enfants soient piétinés.

Qu’est-ce que je disais déjà ? Ah oui. A ce moment-là un vieux naturaliste expliquait à une jeune fille que, si la crue est une catastrophe pour les Sterne lorsque les œufs sont dans les nids, c’est aussi une bonne chose pour d’autres habitants du fleuve. Par exemple en février, les crues viennent inonder les bras morts pour permettre aux brochets de pondre leurs œufs dans les herbiers. Chaque habitant du fleuve a ses propres besoins.

-Dit nous tout Mamie, comment tout cela s’est terminé ?

-Après plusieurs jours de crue, le niveau a commencé à baisser. D’abord de quelques centimètres, plus rapidement ensuite. Au bout de deux jours, notre îlot était déjà visible, encore une journée à attendre et il y avait assez de place pour que quelques couples s’installent : la décrue était là ! Toute la colonie pouvait occuper notre cher banc de sable et effectuer une ponte de remplacement. Après des années noires où nous avons été perturbés par les crues causées par des pluies intenses sur le Massif central ou des lâchers de barrage à l’amont, ou par les sécheresses qui rattachent les îlots aux berges et permettent aux prédateurs de traverser au sec et de nous obliger à fuir, nous avons enfin pu mener à son terme la nidification.