Déconstruction reconstruction

Récit imaginé par Nathalie PANSIOT, Ethan TARRAGANO, Evane Guth, Laurent Badon et facilité par Mathilde Guyard…. dans le cadre de l’atelier futurs proches réalisé le 25 mai. 

Thème de l’atelier : Et si la France était neutre en carbone en 2050 et suivait les propositions du scénario 2 de l’ADEME : coopération territoriale ?


Camille, étudiante en architecture dans la ville de Lyon, a dû revenir dans son village d’origine situé dans les Alpes, Savines-Le-Lac, précipitamment à cause d’un terrible feu de forêt qui a durement impacté le village. Des maisons, majoritairement en bois, ont été brûlées. La culture du bois est très importante pour l’économie de ce village et le feu a réduit en cendres les arbres destinés à la coupe et exportés dans d’autres territoires.

Pour faire face à cette terrible épreuve, le village a dû se serrer les coudes et a reconstruit ce qui a été détruit grâce à la coopération des forces locales. 

Grâce à ses compétences en architecture, Camille a été très utile pour la reconstruction de maisons, en dessinant les plans. Elle est restée plus d’un mois dans le village, à s’atteler à sa mission. 

La fin des congés approchant à grand pas, elle devait retourner à Lyon, même si toute la reconstruction n’était pas achevée.

En arrivant au guichet multiservice de Savines le Lac pour se procurer son billet de train, Camille y retrouva sa grande sœur Laura. En effet, chacun au village prenait en charge à tour de rôle depuis une grosse dizaine d’années l’accueil dans ces nouveaux guichets multiservices permettant de réserver un billet de train et la plupart des missions administratives. Elle l’avait oublié mais c’était le tour de Laura aujourd’hui. Laura avait fait le choix de s’installer au village avec son mari Antoine après des études de médecine. Elle y vivait depuis 4 ans avec ses 2 enfants de 1 et 3 ans, avec 2 autres familles. 

– « Salut petite soeur ! On se retrouve toujours ce soir pour la réhabilitation de la salle des fêtes ? Qu’est ce qui t’amène ici ? 

– Quels sont les horaires de train pour Lyon le 10 Septembre prochain ? Mes cours reprennent le 12, cela me laissera un peu de temps pour retrouver mes ami.e.s, après cet été si mouvementé.

– Comment ça, Camille ? Ne me dis pas que tu envisages de repartir… Il reste beaucoup de travail ici, regarde l’école de Savines, elle ne pourra pas accueillir tous nos enfants à la rentrée. Et tu nous as tellement apporté, tes connaissances techniques dans l’utilisation de la paille, du bois et du chanvre, et tes capacités d’organisation. La manière dont tu as pris en charge le chantier de la mairie était digne d’une architecte aguerrie. Je t’ai vu tellement rayonnante ici et papa et maman sont tellement fiers de toi.

– Mais Laura, tu sais bien que ma vie est à Lyon, je dois y finir mes études et le cabinet Utopia m’a promis de me confier ce grand projet de réhabilitation de la mairie de Lyon.

– Réfléchis-y Camille, as-tu réellement plus à gagner en partant ?

Camille était sonnée. Elle n’était pas encore sûre de bien saisir ce qu’il venait de se dire, mais elle présentait déjà que cette discussion aurait un impact déterminant sur le cours de sa vie.

Ce village, elle l’aimait, il faisait partie d’elle. Quand elle l’avait quitté, c’était avec la crainte de ne pas réussir à trouver sa place à la grande ville et, pire encore, de ne pas retrouver la place qu’elle avait toujours occupée auprès des siens.

Mais le temps avait passé et la ville n’était pas une masse informe dans laquelle on se noie en avançant masqué dans l’anonymat. Non, la ville est ce grand espace, peuplé de ces personnes magnifiques qui créent, inventent et vivent ensemble. Là, Camille n’était plus la jeune fille choyée par son foyer, c’était une femme avec des rêves, une femme qui se dotait des moyens nécessaires pour les bâtir.

Alors, sur le point de retourner à cette vie qui lui tendait les bras, pourquoi hésitait-elle ? Quel était ce sentiment qui la prenait, cette sensation qui infusait doucement mais sûrement tout son être ? La joie et la légèreté que lui procurait l’idée de la nouveauté avaient laissé place à la culpabilité.

Coupable elle l’était. Comment pouvait-elle ne penser qu’à elle-même en cette période où on avait si clairement besoin d’elle ? Si elle avait pu s’installer à la ville et poursuivre ses études d’architecture, n’était-ce pas grâce aux villageois.e.s qui n’avaient eu de cesse de l’encourager, de croire en elle, de se mobiliser pour son départ et qui, année après année lui donnaient la force de continuer en lui donnant un foyer dans lequel revenir dès qu’elle en ressentait l’envie ou le besoin ?

Elle le savait désormais, elle en était convaincue : sa réussite, ce n’est pas seulement qu’elle la devait au village, c’est qu’elle était en fait la résultante même de l’énergie et des liens qui unissent chacun.e de ses habitant.e.s.

Cette pensée ramena soudainement, mais tranquillement, le calme en Camille. Ses inquiétudes l’avaient fait douter, mais la réalité n’avait jamais changé : elle était ici chez elle, et c’était pour le bien du village qu’elle s’était dotée de ses compétences d’architecte, pour pouvoir continuer de bâtir, ensemble, un bel avenir. 

Ses années d’étude avaient permis à Camille d’acquérir les compétences de l’architecte qu’elle avait toujours voulu devenir. L’incendie de son village lui donnait désormais l’occasion de réaliser son projet, tout en se rendant utile à sa communauté. D’une nature indépendante, elle avait toujours cru qu’il lui faudrait quitter son village pour prendre son envol. Voilà qu’un incendie, provoqué par cette foutue sécheresse, lui permettrait de prendre de l’autonomie tout en mettant en pratique ses compétences. 

Elle prit ainsi la tête de l’équipe projet qui avait été chargée de reconstruire la place de la mairie, très touchée par les flammes. Son équipe imagina les plans de la reconstruction en s’appuyant sur ce qui n’avait pas été touché par les flammes. L’expérience de chacun avait été utile à Camille qui, s’appuya en outre sur l’entraide et les conseils des riverains pour proposer à la gouvernance locale les décisions à prendre et ainsi engager rapidement la reconstruction. Grâce à l’adhésion du plus grand nombre, et à l’intelligence collective qui était une force de la coopération mise en œuvre par le Maire, la mission de Camille s’est avérée être une expérience réussie. Désireuse de valoriser cette première expérience, et consciente de la nécessité d’aider d’autres territoires à réparer les dégâts causés par les catastrophes naturelles, elle finit, au bout de 2 ans, par acheter un billet de train qui l’emmena dans la ville voisine où un débordement torrentiel avait abimé un vieux quartier construit en 2023.