Coopérer ça pique

Récit imaginé par Lucienne, Pauline, Micael, et Claire facilité par Alexis Louat dans le cadre de l’atelier futurs proches réalisé le 11/05/2022.

Thème de l’atelier :  Et si demain, une véritable résistance écologique renversait les pouvoirs en place pour sauver la planète ?  


Et voilà, le moment était arrivé – enfin, plusieurs moments car il s’agissait plutôt d’une cascade d’évènements. Alors déjà, contre tout attente, les dernières élections présidentielles avaient été annulées, notamment grâce à la conjonction des luttes et des manifestations pour le climat, des mouvements sociaux, et surtout la révolte contre l’augmentation des prix de l’alimentation. Ca tombait très mal pour mon père, actionnaire d’une grande multinationale alimentaire. Car voilà le deuxième évènement de cette chute infernale : il passait ses jours et ses nuits à fixer le prix des ses actions qui dégringolaient à vue d’oeil. il devenait dépressif, il ne dormait plus. Alors, afin de lui donner un peu d’air, il décida de m’envoyer dans la Creuse, chez mon grand-père.

Mon grand père habitait un petit village au milieu de nul part; bon, dans un hameau quand même, avec des voisins. Notamment un, qui avait été résistant pendant la deuxième guerre mondiale. Quant à mon grand père, un peu plus jeune, sa bataille, il l’avait menée avec des pavés en mai 68. Leur grande occupation à tous les deux: le jardinage. Et depuis des années, ils s’échangeaient leurs petits trucs pour améliorer leurs cultures. Ils s’échangeaient leurs graines reproductibles aussi, car cela était maintenant autorisé.

Mais ce jour là, mon grand père reçut un courrier qui le mit dans tous ses états: il avait été surpris à faire son purin d’ortie. Et ça, c’était encore interdit. Mais bon diou d’bon diou!!! Furieux, il alla chez son copain Alphonse pour lui raconter ses mésaventures. Ils discutaient à l’entrée de leurs jardins quand je les rejoignis. Je pris connaissance de la situation et ne comprenait comment un simple purin d’ortie pouvait encore, en 2027, créer un tel désordre. Je proposai à mon grand père et à Alphonse de les filmer pour raconter cette ubuesque situation. Je mis la vidéo sur les réseaux sociaux et c’est ainsi que le buzz se fit.

On en était arrivé là; une seule solution pour retrouver la liberté de nos actes; ne plus dépendre de nos comptes en banque… facile à dire? Pas si difficile à faire, finalement. Durant les années précédant la grande non-élection de 2027, j’avais enregistré les contacts des 2 à 3 acteurs de tous les principaux réseaux militants écologistes du pays. De son côté, mon grand -père avait maintenu le lien avec ses contemporains. A nous deux, nous avions un réseau qui couvrait chaque espace de SAC (semi-autonomie en cours) lancés depuis 2022. Chaque groupe avait reçu le message: en 1 mois se débrouiller sans compte en banque. Chaque communauté a acheté ce qui lui manquait afin de pouvoir produire l’essentiel et puis: plus rien. Du jour au lendemain, et dès le 1er du mois suivant, nous avons commencé à fonctionner par l’échange. Les premières semaines, la solidarité et la bonne volonté de tous joua son rôle, mais rapidement, face à l’absence de prix imposés et reconnus des denrées et biens de première nécessité, des désaccords et des conflits éclatèrent au sein des communautés, des régions et des familles.

Non-coopérer avec ce système qui se délitait, quel grand chaos. Plus personne ne savait quoi faire, comment réagir, tous les ressentis de chacun.e étaient exprimés à vif…… étouffant. La vulnérabilité de chacun.e était à son paroxysme. Coopérer était pourtant l’intention générale, la visée et la solution pour abolir la compétition, l’avidité et la prédation du vieux système. Colère, tristesse, déni même, étaient ont le grand quotidien des personnes qui pourtant s’étaient associées pour résister. Quelle était la raison d’être de tout cela ? Que restait-t-il à faire, à mener ensemble ? Y avait-t-il une suite, un avenir à ce grand vide, cette désorganisation humaine, sociétale ?

Une journée de réflexion avait été organisée par mon père, qui avait tout perdu et qui au fond de lui disait avoir besoin de retrouver son humanité. Ces ateliers avaient permis de mettre à plat et de poser les émotions, les ressentis en toute authenticité. Chacun.e se rendait compte du chemin qui restait à parcourir pour retrouver de la sérénité, de l’harmonie, du savoir vivre-ensemble. Comment s’y prendre ? Peut-être que le chemin passait par l’accueil des émotions et des fragilités, des blessures des uns et des autres, sans jugement; c’est ce que les ateliers nous avaient appris. Blessés, tout le monde l’était après cette grande transformation. La question que nous nous posions toutes et tous: pouvait-on devenir responsables de nos blessures, sans les reporter et les projeter sur les autres. Le chemin de l’intelligence émotionnelle pourrait-t-il ramener un peu de paix ?

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