Contre-temps

Récit imaginé par Vincent d’Eaubonne , Ulysse Sorabella et Lucien et facilité par Adrien Conty dans le cadre l’atelier futurs proches réalisé le 14 octobre 2021 en partenariat avec Génération Ecologie)

Thème de l’atelier:  Nous sommes le 3 novembre 2026. Depuis bientôt 5 ans, la France mène une politique décroissante planifiée, volontaire et salutaire. Et si nous imaginons le quotidien de citoyen.ne.s dans ce futur proche ? 


« Ah tiens ? faut pas bien chaud ce matin, ça va être dur de sortire la couette », se dit Aline. 

C’est qu’avec les nouvelles politiques énergétiques et l’attente (imminente) de ré-isolement de son logement en collectif, il faisait plutôt 15/16 degré dans sa chambre à son réveil. Au moins ledit logement bénéficiait du nouveau et ingénieux système de toilettes sèches à récupération collective, très efficace, et gros économiseur d’une eau devenue une ressource en tension avec l’intensification des sécheresses.

Son petit déjeuner qui l’attendait après les ablutions matinales était toujours plus réjouissant que le sempiternel plateau matinal fourni par les cuisines présidentielles durant sa mandature, qu’elle n’avait pas le temps d’avaler. Même si c’était varié et fort bon, c’était si impersonnel à côté de son bocal de confiture maison qu’elle étalait sur le pain de son copain boulanger de la rue d’à côté.

Elle se répéta encore une fois qu’elle avait bien fait de quitter les strass, les ors et les pompes de l’Élysée (un peut pour s’en convaincre il est vrai, tant cette drogue dur de Pouvoir nécessitait un sevrage sévère) pour reprendre une vie plus simple. Enfin pas si simple quand même, si dit-elle en pensant à la journée qui l’attendait. mais quand même. Les cimetières sont remplis de gens indispensables utilisés par la pression, et elle n’était pas pressée d’en faire partie.

Son premier mail de la journée réclama son attention : c’était une communication du groupe féministe #Balance ton savon noir, qui entendait bien ne pas faire les frais du DIY par surcroit d’un travail domestique qui, si il continuait à progresser dans le partage, restait quand même un peu trop à charge déséquilibré.L’action collective proposée avec des copains en soutien la fit bien marrer, il s’agissait d’une performance foutraque ou un groupe de femmes pastichant les tenues SM (version S) martyrisait un groupe de chippendales en tablier , condamnés à laver une impressionnante vente pile d’assiettes. Osé, mais l’époque se prêtait au pastiches de ce genre, et le nombre de masculinistes grincheux fondait comme neige au soleil. »Il faudra que j’y aille », se dit-elle en refermant la porte de son appartement.

Sortant de chez moi, je marche d’un pas rapide, je suis déjà au croisement quand j’entends la lourde porte de l’immeuble se refermer. Je dois me rendre au centre pour régler cette importante, et vu ma marche assurée, mon retard ne devrait pas être trop grand. Pour gagner un peu de temps, je décide de traverser le grand parc. Il fait beau aujourd’hui pour un jour de novembre, et plein de gens sont sortis travailler au parc. L’ambiance est animée, les enfants apprennent et les adultes discutent, lorsqu’ils ne sont pas en train de travailler sur la terre. Je vois plein de visages familiers, mais comme je n’ai pas le temps de discuter, je fonce, tête baissée, en direction de la sortie nord. J’aperçois enfin la barrière, et au loin, le bâtiment du centre, quand une main me saisit par l’épaule. C’est Yasmine, qui a besoin de me toucher deux mots sur son projet, nous parlons un peu, et j’ai l’impression de l’agresseur par la vitesse à laquelle je lui parle, je lui explique que je suis pressée, que je dois partir régler cette affaire. Je poursuis ma route, et à l’instant où je m’apprête à franchir la sortie du parc, j’entends un hurlement derrière moi : un outil agricole est en train de tomber, tout le monde accourt pour retenir l’engin, car des gens sont dessous. Philippe arrive en courant, m’emmène avec lui et crie le ralliement à tous pour venir soutenir l’engin, qui malgré notre force à tous tombe. Je me jette dessous pour pousser les vulnérables qui vont se prendre, et l’engin fini au sol, en écrasant la main d’un homme, que je ne connais pas. On s’occupe de lui,

Je rentre épuisée, physiologiquement, mais satisfaite d’avoir pu aider, conseiller, accompagner, animer mes voisins, familles et inconnus. C’est un sentiment que j’ai maintenant, une sorte de satisfaction à laquelle l’aide que j’ai pu apporter au tour de moi se mêle. Alors c’est vrai, je n’ai pas eu le temps aujourd’hui de faire ce pourquoi j’étais partie. Mais qu’importe j’ai pu faire tellement plus. J’aurais surement le temps de le faire demain. Tout peut attendre, du moment qu’on l’a fait pour de bonnes raisons. C’est d’ailleurs toujours ça qui étonne ma moitié, ne plus vivre dans un monde régi d’impératif comme la capitale nous l’imposait. Demain je retournerai au centre-ville pour aider à l’écriture de la nouvelle constitution collaborative qui sortira au 1er janvier. Oui, dans 6 mois nous serons appelés pour ce nouveau mode d’élection, un scrutin inclusif où les idées primes sur la personne, où la démocratie nous lie et nous implique dans les décisions.Aujourd’hui nous faisons demain.