Ca tombe á l’eau

Récit imaginé par Lucie Cassisa, Léo Fremaux, Nathan Parent, et facilité par Christiane Lellig dans le cadre de l’atelier futurs proches réalisé le 17 novembre 2022 en partenariat avec le One Planet Lab, l’EPER, Objectif Terre et le Réseau transition suisse.

Thème de l’atelier : Et si on réinventait la politique avec des assemblées citoyennes


Le soleil tapait fort derrière la vitre et la directrice de la maison citoyenne ouvrit la fenêtre pour laisser entrer de l’air frais avant d’accueillir le conseil des enfants. Le printemps avait été chaud, sec, et le bilan des ressources en eau affichait un résultat bien en-deçà des prévisions pourtant déjà négatives.
Comme cela avait été mis en place depuis quelques années, des groupes d’adultes, d’enfants et de personnes âgées se retrouvaient pour échanger sur les solutions concrètes à apporter aux problématiques rencontrées par le collectif. Entre catégories d’âge tout d’abord, puis en plénière afin de confronter les avis et conserver des hypothèses à tester sans plus tarder.

Aujourd’hui, le sujet était de taille : quels aménagements, quels compromis faire afin de se répartir équitablement les ressources en eau pour le trimestre à venir ?
Justin, Colline, Safia et leurs 7 camarades avaient 2h pour partager leurs impressions, faire fuser les idées et les soumettre ensuite aux autres groupes de travail.

– Salut les nazes !
– Eh ! Commence pas Colline, on va parler sérieux ce matin…
– Roh oui bien-sûr, mais pas besoin de tirer cette tronche ! On a plein de temps pour partager toutes nos idées de feeu d’ici ce midi ! Y’en a bien un ou une qui va avoir une révélation
– Bon. Safia, c’est toi qui t’occupe du tableau aujourd’hui ? On nous a laissé plein de feutres pour qu’on représente la quantité de flotte disponible qu’on voit comment s’organiser pour retomber sur nos pattes
– Moi mon père, il dit que le vrai problème c’est pas l’eau mais comment on la stocke…
– Oui Justin. On sait que ton père il dit plein de trucs… Mais là on doit se concentrer sur l’urgence.
– Colline tu fais la maîtresse du temps ? Faudrait pas qu’on loupe le pique-nique en débordant comme la dernière fois !
– Tout le monde est en poste ? Alors goooooo
– Aaaaalors. On est à sec ! Voilà en rectangle bleu la quantité d’eau qu’on avait l’an dernier, et celle de ce mois-çi
– Ca pue du slip !
– Tu l’as dit…
– Qu’est-ce qui vous semble le plus fastoche à laisser tomber en terme d’eau ?
– Beh le lavage de dents, sans hésiter !
– Pfffff et à part ça Safia cracra ?

Le débat était cette fois inédit. Jusqu’alors les problématiques avaient été plus simple à résoudre, comme quand ils avaient décidé de réimplanter la production de laine localement pour produire des vêtements plus chauds et réduire le chauffage dans les maisons.

– De mon côté, je pense que la piscine publique c’est un truc de boomers… Mon père a rencontré ma mère là- bas d’ailleurs. Beurk !
– Oui ben t’es gentil, tu dit ça mais parce que c’est facile pour toi. T’as appris à nager comme un poisson chez ta daronne

– C’est vrai qu’on n’a pas eu toustes la même chance…

A la maison citoyenne les débats avaient toujours impacté les citoyens de la meme façon, mais aujourd’hui la situation risquait d’impacter différemment les jeunes enfants qui n’avaient pas eu la même chance d’apprendre à nager.

Suite à la terrible sécheresse qu’avait subi la région, le stress hydrique était tel que la question était posée de fermer définitivement la dernière piscine de Dijon. Celle-ci était déjà réservée depuis quelques années aux scolaires et aux personnes en rééducation.

Fallait-il donc se destiner à potentiellement enlever le droit d’apprendre à nager aux enfants qui n’avaient pas encore eu l’occasion de le faire ? C’est à ce dilemme qu’étaient aujourd’hui confrontés les enfants car ils se trouvaient être les premiers concernés.

“C’est trop important de fermer la piscine, le risque est trop grand de devoir arrêter d’arroser les plantations. Rien de plus important que d’avoir accès à des bons fruits et légumes en quantité.

Safia acquiesça. Pour elle, l’enjeu était aussi de préserver l’accès à une alimentation saine et variée, surtout elle qui adorait les pommes du verger d’en face et n’imaginait pas une seule seconde pouvoir faire l’impasse sur son gouter.

Justin, resté en retrait, commença à sangloter.

“C’est simple pour vous de vouloir fermer la piscine, vous savez déjà nager et vous avez des vergers en face de chez vous. Moi j’habite dans un trou où la nourriture est jamais variée. L’année prochaine je devais commencer les cours de piscine. Ca a toujours été mon rêve de nager et de devenir plongeur professionnel comme tonton Jackie”

Les deux enfants le regardèrent, compatissant mais lui rappelèrent qu’on ne pouvait pas prioriser les tobbogans, les concours d’apnée et les bombes à l’alimentation, que c’était menacer toute la société que de vouloir faire ce choix.

Justin toujours les yeux humides répondit qu’il ne savait pas pourquoi il devait continuer à vivre si il ne pouvait plus rêver. Les autres copains l’entourèrent en lui disant :

– Mais hey Justin, Les lacs c’est réservé aux grenouilles peut-être ?
– Allez Justin, pleure plus ! Je t’apprendrai à faire le dos crawlé moi au lac le dimanche !

La nouvelle n’était pas simple à digérer mais Justin se raisonnait… les copains c’était le plus important ! Le soir, Safia avait besoin d’échanger sur sa matinée avec sa maman :

Après une discussion houleuse avec les copaines, on s’est mis d’accord pour abolir les piscines publiques trop consommatrice d’eau. Cela s’est fait non sans mal. J’ai même failli me battre avec Justin, il voulait me mettre un coup de poing sur le nez parce qu’il voulait être plongeur. Mais entre nous, c’est plus pour faire des bombes que pour apprendre à nager. La directrice de la maison citoyenne est repassé une dernière fois pour voir si on avait fini. Puis, elle nous a demandé de lui lire nos propositions à voix haute. A ce moment-là, je me suis demandé pourquoi, car elle nous a dit en début de séance que lui donnera le compte-rendu. Mais bon, elle a dit que c’était pour voir si tous le monde était d’accord et pour nous apprendre à nous exprimer en public.

J’ai trouvé ça un peut naze … mais bon. Comme me dit papa « Safia, fais pas la tête de mule ».
Après tout ce débat, on a pu aller dévorer les chips et les bonbons du pique-nique ! C’est pas tous les jours qu’on peut manger la nourriture d’avant !