20 Oct Bonne et chaleureuse année !
Récit imaginé par Arthur Gérard, Cathie Malhouitre, Caroline Ladousse, Jeanne Varaldi et facilité par Laetitia Vitaux dans le cadre de l’atelier futurs proches réalisé le 20 octobre 2022.
Thème de l’atelier : « Et si la décroissance était notre quotidien ? Nous sommes en 2025. Les prix de l’énergie se sont envolés. Et pourtant… »
Je suis née le 27 novembre 1972, au rez-de-chaussée de la copropriété des Jours Heureux. On m’a mise au monde dans une salle froide et sombre, dans l’espérance de jours plus chauds et plus joyeux. Dans mes premiers mois de vie, on a pris soin de moi, j’ai été chouchoutée, câlinée, et je le rendais bien car je donnais beaucoup de chaleur autour de moi. Mais peu à peu on m’a délaissée, je me suis sentie abandonnée, ma chaleur s’amenuisait, mon ventre se vidait et je suis devenue glaciale. Dans les années 2020, j’ai reçu dans mon sein des personnes qui venaient de pays très lointains, dans l’espérance, eux aussi, de jours plus heureux mais qui ne trouvaient qu’une vielle cheminée cinquantenaire abandonnée. Entre rejetés, on se garde de se lier d’amitié. Ces personnes sont donc parties vers d’autres horizons. Le 6 octobre 2022, des enfants sont venus jouer près de moi. C’était la première fois que j’écoutais de nouveau des rires ! Les bébés que j’avais vus naitre quand j’étais petite sont aujourd’hui devenus les grands parents de la copropriété.
C’est le 31 décembre 2025. J’entends des bruits d’excitation, les fêtes se préparent ! L’hiver est une fois de plus rude, davantage que ceux des dernières années. Encore une fois je vais rester seule pendant que tous les autres font la fête chez eux.…
Tout le bâtiment semble préparer ce nouveau jour de l’an, qui, cette année, après le choc de celui de 2022-23, semble être celui de la joie enfin retrouvée. Je les entends au loin tous arriver. Depuis quelques années les fêtes sont plus nombreuses. Je suis encore isolée dans mon rez de chaussée, mais il y a plus de passage. Ils et elles me font rire à courir dès que la fête approche. Et les belles toilettes sont de sortie. Les trocs se multipliant, les va et vient sont nombreux au rez-de-chaussée, qui est plus devenu un lieu de passage qu’un lieu de vie. J’entends la musique, les pédaliers doivent être enclenchés.
Alphonse semble avoir oublié quelque chose, je le vois repasser avec son panier, mais il renonce à ressortir. La porte semble refuser de s’ouvrir. Et moi je sens le vent remonter le long de mon conduit… Quand soudain, je ressens un courant d’air glacial. Le vent s’accélère. J’entends la vieille porte en chêne qui donne sur la rue s’ouvrir brusquement. La nuit est glaciale et la neige tombe sans interruption. Une épaisse couche s’amasse sur le trottoir. Les lampadaires qui, de temps en temps, illuminent la baie vitrée n’éclairent plus la rue. Depuis plus de 3 ans, l’instabilité du réseau électrique nous révèle parfois un ciel étoilé, lorsque celui ci est dégagé.
J’entends du bruit à l’étage. Les paliers se remplissent mais l’atmosphère semble confuse. L’immeuble est soudain plongé dans le noir. Une coupure de courant, à nouveau. Cette fois, chacun sait quoi faire : rendez-vous dans la salle du rez-de-chaussée. Bras chargés, déterminés, c’est un déferlement de voisins qui débarque.
C’est un faste tel que je n’en ai jamais vu. Une vaisselle bariolée est posée sur la table à la hâte : assiettes à fleurs, verres bleus et jaunes, couverts d’argent ou d’inox, tout se mélange dans une joyeuse confusion. Ils chassent la poussière sur mon vieux manteau. Ils sont nombreux, semble-t-il, à passer le pas de la porte en chêne. Une dizaine peut être réunis autour du vieil Alphonse et de Lina. Je les entends s’écrier : « plus de chaises, plus de chaises » ! C’est une procession de mobilier, de plats, de couvertures et de drôles de personnages.
L’un d’eux arrive et s’approche, chargé d’un petit ballot. « Là, il faut commencer par le petit bois ». Ma vue se trouble à mesure que leurs bras s’agitent. « Encore un peu » crie Lina « et surtout du journal ! » lui répond le vieil Alphonse. J’entends un craquement, plus rien, puis enfin un cri collectif alors que la lumière envahit la pièce. « Le feu est enfin allumé ! » C’est une floppée de sourires qui couvre désormais les visages. Ils se rassemblent doucement vers moi et fixent le feu qui crépite – quelle joie après ces années d’abandon !
La pièce est éclairée, je distingue à peine les silhouettes qui se concentrent et prennent placent. Les tables sont dressées ça et là et j’apprécie la chaleur des premières braises. Alphonse a descendu sa cocotte, autonome, elle continue à cuire. Lina le suit de peu, chargée des 3 pédaliers à mettre en place pour créer l’énergie nécessaire à la lumière.
Après quelques instants pensifs, Lina se redresse soudainement « Dansons ! ». Depuis que les hivers sont plus froids, ils ont pris pour habitude de pratiquer nombre d’activités physiques : marche rapide, sports collectifs, course à pied… Mais de tous, c’est la danse que Lina préfère. Les voisins du 1er lui ont appris la valse, ceux du 2ème sont plutôt branchés hip-hop, et dans la rue d’à côté, un jeune homme donne des cours de danse contemporaine. Lina se fait un plaisir de partager ses nouvelles connaissances quand elle en a le temps. Le réveillon est l’occasion parfaite !
Les pas sonnants et trébuchants font vibrer le parquet. Au rythme de la musique diffusée sur le la sono du vieil Alphonse, maintenant alimentée par les pédaliers que Lina a descendu, chacun s’y donne à cœur joie. Alors que l’affluence ne cesse, chacun commence à se sentir à l’étroit. « C’est dehors qu’il faut que nous allions, dans les rues, maintenant que nous avons chaud ! » crie Lina. Le vieil Alphonse se met à rire, oui, de son temps aussi les fêtes débordaient sur les rues et dans les cafés alentours, oui, on s’y retrouvait pour discuter, manger, danser parfois. C’est un peu de cette vie collective qu’il retrouve à présent.