Avis de tempête

Récit imaginé par Margaux Boisramé, Raphaël Gourlaouen et Natacha Rohaut et facilité par Hélène Chesnel dans le cadre l’atelier futurs proches réalisé le 8 février 2024 en partenariat avec Nantes Université.

Thème de l’atelier :  Et si, en 2050, Nantes Université avait un rôle clé dans la transition écologique ?


Ce matin de février 2050, il fait froid. Ce n’est pas arrivé depuis longtemps, c’est finalement un moment de répit pour moi. Calmement, je fais déambuler mon souffle entre les allées du potager collectif qui a été mis en hivernage récemment. Sur le campus, chacun s’est rapatrié à l’intérieur. Je m’engouffre à travers la fenêtre entrouverte de l’espace modulaire n°1 : des étudiants y ont fait de la place pour pouvoir faire une séance de yoga. Ils ont une présentation tout à l’heure, ils ont besoin de se concentrer. De l’autre côté de l’esplanade, dans la yourte en bois, certains avalent un petit déj, en avançant sur leurs travaux respectifs derrière leur ordi. Un groupe traverse l’esplanade : j’intensifie un peu mon souffle, cela leur permettra de se souvenir ce qu’est une bise froide. Dans cet élan, je transporte des feuilles qui se détachent de la vigne vierge qui s’entrelace sur les panneaux de bois de la façade de l’Université. Je remarque qu’au sein de ce groupe, chacun est concentré sur son téléphone, personne ne communique. D’habitude, j’aime traverser cette esplanade, qui retrouvera sa couleur verte dans quelques mois mais ce matin je regrette qu’elle soit aussi calme.

Pourtant, je continue mon chemin et je remarque un groupe de quatre personnes qui sont en direction de l’Erdre. Leurs voix s’effacent alors qu’elles passent sous les branches des arbres qui la bordent. Ils parlent entre eux. Ça fait longtemps que je n’ai pas vu des étudiants, des enseignants et des chercheurs discuter. Trop curieuse, je m’approche. « T’as avancé sur la rédaction de ta partie sur les réseaux sociaux qui ont connu leur heure de gloire dans les années 2020 ? » demande Margaux qui passe sa main dans les cheveux pour replacer sa mèche que je viens de déplacer par un souffle un peu plus intense. « Oui, la partie historique était la plus simple. C’est clairement la question des nouvelles solutions qui va nous demander de faire du jus de crâne », répond Raphaël qui s’est lancé dans le projet avec énergie il y a quelques jours. « Très clairement, quand tu vois l’ambiance de l’Université en ce moment, ça fait peur ». Ces mots m’effraient, ravivent en moi une angoisse forte qui s’intensifie depuis longtemps. De loin, j’aperçois le groupe monter dans la navette fluviale qui relie les campus.

C’est à ce moment-là que je sens la colère monter en moi. Je souffle, je tourbillonne, la pluie se joint à moi, les feuilles volent, bientôt rejointes par les branches, les bancs, les vélos, les câbles électriques, … Je crée des vagues sur l’Erdre. Les bateaux tanguent de plus en plus fort et de plus en plus vite. La navette dans laquelle tout le groupe se trouve menace de chavirer. C’est la panique à bord. Elle ne répond plus, impossible de la diriger correctement. Ils tentent pourtant de rejoindre la terre ferme tandis que je continue de souffler toujours aussi violemment. Après une lutte acharnée contre les vagues, la navette se rapproche enfin du rivage, mais impossible d’accoster. Je lance alors une bourrasque un peu plus forte que les autres et le bateau se retourne. Heureusement pour eux, ils savent tous nager et rejoignent rapidement le bord.

Arrivés sur la terre ferme, ce n’est pas beaucoup plus facile pour eux. Je continue de tellement souffler qu’ils ont du mal à tenir sur leurs jambes. C’est une chance que de nombreux arbres aient été plantés ces dernières années et que des sculptures en tout genre aient été réalisées un peu partout par différents collectifs, car cela leur permet de se retenir. Lorsqu’ils arrivent au cœur du campus, la vision est assez désolante. De nombreux bâtiments sont fortement endommagés, le potager universitaire est saccagé et les éoliennes qui alimentent en électricité l’université se sont stoppées pour éviter l’emballement des pales. Les gens se réfugient comme ils peuvent derrière et sous les restes des bâtiments. À ce moment-là, je souffle comme jamais pour montrer ma puissance. Le groupe est dévasté. Leur université autosuffisante construite au fil des années avec tout ce qu’elle représente n’est à ce jour plus fonctionnelle.

Je vois, des dizaines de mètres en dessous de moi, des silhouettes s’agiter dans tous les sens, parcourant le campus à toute vitesse. Au milieu de la cité universitaire, se dresse un petit bâtiment, que j’ai à moitié détruit. Seul reste debout un mur, derrière lequel se protègent quelques personnes.

De loin, je vois le petit groupe que j’ai repéré depuis quelques heures maintenant, se rassembler. Ils semblent discuter, débattre avec animation. Au bout d’une petite heure d’échanges, ils se séparent et partent chacun avec résolution dans des directions opposées. Je les vois, les uns après les autres, ramasser par terre de l’équipement et des matériaux. L’un d’entre eux récolte tous les morceaux de bois qu’il trouve, rassemblant près du mur solitaire une quantité impressionnante de matériaux. En deux heures seulement, il a amassé de quoi construire une petite cabane avec facilité.

Un peu à l’écart, je remarque aussi une femme, qui traîne avec difficulté des sortes de grandes tentes à la toile lourde. Ce devait être les yourtes que j’avais observées, peu avant de ravager les équipements qui se trouvaient sur mon chemin. Elle parvint à en rassembler cinq, non loin du tas de bois qu’a formé un de ses camarades. Pour l’accompagner, je lance une petite brise pour la rafraîchir, tant son effort paraît intense.

Pendant que j’observe ce petit manège, un mouvement attire mon attention. De ce qui est maintenant l’ancienne faculté de lettres, dont le bâtiment n’en avait plus que le nom, une silhouette extrait des débris des chaises, à tel point qu’on aurait pu installer une petite assemblée pour observer le spectacle de destruction qui s’étend partout en dessous de moi.

Je descends un peu mon souffle pour me rapprocher du groupe. Chacun de ses membres semble savoir exactement ce qu’il a à faire. C’est alors que j’aperçois la dernière personne. La jeune femme parcourt tous les bâtiments encore à moitié debout dans la cité universitaire. Elle disparaît pendant quelques minutes derrière les murs branlants, et ressort immanquablement avec deux ou trois nouveaux compagnons. Ces derniers se rassemblent, en quelques dizaines de minutes, au centre du campus. Rapidement, ils sont des dizaines à s’activer autour du matériel rassemblé par les membres du groupe près du mur solitaire. Ils commencent alors à ériger des murs, à recoudre les tentes et à créer un espace confortable. Les chaises sont rassemblées en cercle au sein de l’espèce de nouveau bâtiment qui vient d’être monté, créant un espace de discussion. Des étagères sont installées, construites de bric et de broc, et elles sont garnies de dizaines d’ouvrages, de manuels, de documents de toutes sortes. À la fin de la journée, ce nouveau bâtiment est debout et solidement installé. Tous les constructeurs se réunissent à sa porte et chacun assiste à l’installation d’une grande pancarte sur laquelle est inscrit « Agora ». De là où je me trouve, la scène a quelque chose de solennel. Je réduis encore mon vent, pour les laisser profiter de l’instant.

Bientôt, toutes et tous se rassemblent entre les murs et je les perds quelques instants de vue. Le temps d’amener mon vent près du sol, je les entends déjà débattre, discuter avec envie et passion. Chaque minute, un d’entre eux se propose pour reconstruire un peu l’université, comme il le peut. Les ingénieurs se font constructeurs de bâtiments, les sociologues organisent les groupes, les littéraires rassemblent des ressources utiles. Chacun trouvant sa place dans cette petite société qui se crée à chaque instant.

Dans les jours suivants, l’agora se consolide. Des sièges sont apportés de nouveau, et de nouveaux compagnons rejoignent cette aventure. Je reste, des jours durant, à observer ce spectacle intrigant. Alors que j’ai pris un malin plaisir à mettre à bas les murs de la cité universitaire, en peu de temps il en émerge une petite lueur, qui se renforce rapidement. Au moment où je décide enfin de m’en aller, quelques jours après, je laisse derrière moi une belle agora et des bases pour un avenir radieux.