Aux sources de la fresque

Récit imaginé par Eric Favre, Florian Cezard, Xavier Boivert, Anne Romeur  et facilité par Mathilde Guyard dans le cadre l’atelier futurs proches réalisé le 6 mai 2021.

Thème de l’atelier: et si nous imaginions des cours de futur à côté des cours d’histoire à l’école pour libérer les imaginaires des enfants ? 


Source a tout juste 16 ans lorsque son père lui annonce, très fier : « Ma chérie, le conseil des sages vient de te nommer Ministre des futurs ! ». Elle sait bien que cette fonction prestigieuse tient désormais une place majeure dans le gouvernement et que c’est un mandat qui est confié à une personne mineure car l’expérience a montré que les jeunes sont plus capables de construire un futur désirable que leurs aînés. Mais de là à ce que cela soit elle, jeune fille on ne peut plus normale et discrète, la surprise est totale !

Cela n’était que le début de son étonnement car tout juste arrivée au ministère, le doyen du comité futuriste la prend à part et l’alerte : « La situation est grave, on a besoin de toi. Un cours du futur a conduit à des projections catastrophiques et c’est sans précédent. Toi seule a suffisamment connu ton grand-père pour nous permettre de faire face à ce problème inédit ». Effectivement, 25 ans plus tôt, c’était son grand-père qui s’était battu pour faire accepter et organiser la mise en place des premiers cours de futurs dans toutes les écoles, une idée alors totalement farfelue pour l’époque. Une génération plus tard, force était de constater que c’était un succès qui avait profondément modifié le monde. Se confrontant tour à tour à du scepticisme (« à quoi bon ? »), de l’enthousiasme (« changeons le monde, rêvons le ! »), puis de la frustration (« le futur ne vient pas assez vite »), la discipline avait fini par se faire une place et imprégner profondément les modes de pensée des participants de tous âges qui y voyaient l’occasion de se donner les moyens concrets de construire aujourd’hui leur monde de demain. Alors pourquoi donc une telle panique au Ministère des futurs ? Que se passait-il de si grave ?

Le doyen, atterré, évoque l’impensable : le système GAFA (“GArdiens des Futurs Appropriables”) qui archive et analyse en temps réel toutes les productions du futur produites dans les cours du futur multipliait les alertes. De nombreuses anomalies semblaient apparaitre au sein d’une école au nom commun, dans la banlieue d’une ville qu’elle ne connaissait même pas.

« Source, dans cette école, il semblerait que les futurs produits ne font non seulement plus preuve d’aucune originalité, mais reproduisent en fait pratiquement le passé ! Nous avons besoin d’enquêter, comprendre et identifier comment empêcher que cela se développe dans d’autres établissements. Tu as grandi auprès de ton grand père, tu baignes dans l’idée originelle, tu es celle qui peut nous aider à renouveler la discipline et ses impacts sociétaux. » Elle ne comprend pas pourquoi c’est à elle que l’on fait appel : « Papy Dossier ne vous a pas dit quoi faire ? ». Le doyen semble aussi étonné qu’elle : « C’est justement ton grand-père qui nous a dit que sa « petite Source » saurait imaginer une solution. » Voilà donc pourquoi elle avait été choisie.

Son premier voyage officiel sera donc dans cette école où le passé semblait s’inviter en guise d’avenir. Le doyen l’attend pour l’accompagner et la voit poser son regard sur la photo de famille faite à l’occasion de ses 10 ans et posé sur son bureau. Son grand-père Julien qui pose à ses côtés la regarde d’un regard attendri. Elle se souvient alors de ces paroles solennelles de ce jour-là . Tous les deux partis se promener après la fête dans la ville, s’étant arrêtés près du lac recréé 20 ans plus tôt grâce aux projets  “futur 2030” des collégiens de Sienne. Regardant l’étendue qui reflétait les couleurs majestueuses de la végétation luxuriante qui l’entourait où les oiseaux migrateurs prenaient un repos récupérateur avant leur grand voyage vers le Sud et l’hiver rafraichissant. Elle se souvint de son message et du ton grave que son grand-père avait pris alors : “N’arrêtons jamais de rêver notre futur avec nos imaginaires d’enfants”. “Allez, on y va” dit-elle au doyen.

Arrivée sur place, elle prend conscience de l’ampleur du problème. Les futurs dessinés sur les tableaux représentent des machines à vapeur, des voitures par millions, des avions dans le ciel. On y voit aussi dans les usines qui émettent de la fumée noire, des hommes, des femmes, des enfants fabriquent des tonnes d’objets qui lui semblent inutiles et qui enrichissent quelques personnages bedonnant portant redingote noire et chapeau haute forme. Les animaux sont enfermés dans des cages et des humains s’amusent de les voir vivre ainsi, comme inconscients. Les champs sont à nouveau en mono culture et la chimie est partout, la nourriture à nouveau en barquette plastique. Les villes s’étendent à perte de vue, les routes ont dévasté les campagnes, plus personne n’utilise le vélo-bus ou le train-cheval. Elle réalise à quel point l’imaginaire a finalement servi un dessein aux antipodes du désirable et se demande comment elle va pouvoir inverser cette tendance, sans contrarier l’imaginaire. Après tout, ce sont des futurs possibles !

Côté prises de paroles et ateliers vivants, les documents enregistrés sont presque plus inquiétants encore : les élèves et les professeurs semblent considérer que la prise en compte d’un monde complexe et de la primauté du vivant est une contrainte inutile, pesante, qu’il faut « libérer » l’homme d’un carcan de la nature réducteur et artificiel. L’individualisme semble prendre le dessus et la notion de consommation de masse un objectif à atteindre. Quel choc ! Il y a même un élève qui se demande pourquoi nous n’utilisons pas plus les ressources fossiles qui sont disponibles et en masse, gratuitement… on croirait entendre un cours d’histoire sur le climato scepticisme…

Source n’a jamais été confrontée à une pensée aussi éloignée de la société dans laquelle elle a grandi. Les projets élaborés pour le futur dans cette école sont dangereux, elle le sent. Elle ne voit pas comment, notamment, le vivant pourrait vivre encore longtemps avec une telle approche, destructrice et sans vision globale. Il faut conserver une capacité à faire système, à avoir un ancrage dans l’écosystème. Peut-être que les outils développés depuis des décennies maintenant pour les cours de futurs ont atteint leurs limites et qu’ils conduisent désormais à refaire les erreurs du passé. Et cela, aucun adulte n’oserait l’envisager car le système pour les adultes, c’est la référence inviolable. Pour Source, c’est peut-être l’origine du problème, tout simplement. Alors que faire ?

C’est là qu’elle eut le déclic. Elle se rappelle ce qui avait tout déclenché à l’époque des pionniers dans les récits de son grand père : il avait bâtie une fresque (qui semble déjà si vieille) en allant puiser son inspiration dans une fresque antédiluvienne, une fresque “de la renaissance”. C’est sans doute cela qu’il faut aux nouvelles générations : faire renaître l’intention des fondateurs de cette nouvelle démarche, qui a perdu avec le temps le sens qu’elle avait eu. De retour dans la maison de famille, elle retrouve l’atelier des idées de son grand-père et y découvre un drôle de bout de papier de 10 mètres de long, plein de papiers de couleurs avec toutes sortes de dessins et de mots dans des langues qui lui parlent à peine. Elle se souvient maintenant que c’était l’une des premières fresques, avant la grande mode qui avait finalement conduit à en faire un cours académique à part entière, à l’université du vivant.

Elle appelle aussitôt les cadres de l’école et leur propose de faire quelque chose de différent, cette fois, et de réfléchir à ce qui peut rassembler les gens dans un projet global, en repartant de cette vieille recette (sur papier !!!) et non plus les outils habituels de leur cours du futur. Rétrograde en apparence, cette idée leur semble en fait lumineuse.

C’est un succès : les enseignants sont enthousiastes et le doyen, rassuré, leur demande un retour au plus vite des nouveaux résultats de ces travaux. Les enfants, eux, changent rapidement totalement leur approche des futurs et comprennent, presque spontanément, que leur avenir leur appartient.