11 Mai L’appel du 18 juin (2027)
Récit imaginé par Anne, Tom le chat et Charlie et facilité par Delphine BONDRAN dans le cadre de l’atelier futurs proches réalisé le 11/05/2022.
Thème de l’atelier : Et si demain, une véritable résistance écologique renversait les pouvoirs en place pour sauver la planète ?
« Pourquoi vous n’avez rien fait avant, maman ? »
Cette question tourne en boucle dans la tête d’Emilie, rentrant du travail au volant de sa Yaris hybride. Le paysage qui défile, où s’alternent entrepôts et parkings déjà déserts, ne risque pas de la distraire. Elle continue à ressasser la conversation du matin avec sa fille. Loriane est vive et frondeuse, elle tient ça de son père. Emilie, elle, est plutôt d’un naturel discret. Passé cinquante ans, elle ne parvient toujours pas à exprimer facilement ce qu’elle ressent, même quand la colère l’envahit. La question de sa fille lui avait paru cruelle mais finalement bien naturelle :
« Pourquoi n’avons-nous rien fait ? », « Pourquoi n’ai-je rien fait ? ».
Depuis longtemps pourtant, Emilie a compris les défauts de la société prédatrice et ses effets dévastateurs sur le vivant. Pourtant, elle n’a rien fait, nous n’avons rien fait. Elle eut bien du mal à répondre à sa fille ce matin-là.
« Faire quoi ? » avait-elle répondu.
Pourtant des idées, elle en avait eues. Ses compétences d’informaticienne, son travail au sein du siège opérationnel de RTE tout proche de l’aéroport de Blagnac lui avaient donné bien des idées au fil des années. Mais elle n’avait jamais osé franchir le pas.
Soudain, une fumée au loin la tire de ses pensées. Elle arrive à la station de péage. Elle aperçoit alors une foule hétéroclite. Des piétons dansant, hurlant, lançant des fumigènes. Iels ont envahi l’aire d’autoroute. Des véhicules passent prudemment entre les manifestant.es. D’autres conducteur.ices rangent leur voiture sur le côté et se joignent à la foule.
Emilie est partagée. Elle ressent une forme de joie mêlée à de la crainte. Qui sont ces gens ? Pourquoi manifestent-ils ? Cherchant une réponse sur son téléphone, elle s’aperçoit qu’elle n’a plus de réseau. Emilie allume alors la radio :
«… et c’est l’avenir non seulement de notre pays mais de l’humanité dont il est question. Après le message passé à travers l’annulation des élections, il est temps d’aller au-delà et de mettre un terme à ce système patriarcal, liberticide, et qui dans sa course effrénée pour plus de croissance assassine le vivant. CHERS COMPATRIOTES ! La France compte sur vous ! Nos enfants comptent sur vous ! Nous entrons dans le temps de l’action …»
Emilie reconnait la voix du Président sortant, mais son discours semble sorti tout droit d’un manuel de résistance !
« Chacun d’entre vous a le pouvoir d’être un acteur dans ce grand combat contre le capitalisme !
VOUS ETES SI NOMBREUX à vouloir agir sans jamais avoir osé ! »
Emilie est hypnotisée par la radio ! La voix du président agit comme une incantation. Elle sait que ce n’est pas lui, enfin que ce n’est pas un vrai discours mais tout sonne si juste !
« … ensemble nous pouvons, enfin, aujourd’hui, maintenant, agir là où nous avons du pouvoir. »
Cette dernière phrase sonne comme un réveil. Emilie se redresse sur son siège, ses yeux s’ouvrent, son visage se met à rayonner d’une nouvelle énergie. Et alors, dans un élan improbable, forte d’une conviction incroyable, elle freine brusquement et fait faire demi-tour à sa voiture sur l’autoroute pour reprendre la direction de son bureau au sein de RTE.
Émilie passe par la salle de commande et sursaute en voyant sa collègue assise devant son poste. Cette dernière semble aussi surprise qu’elle.
« – Émilie !? que fais-tu ici à cette heure ? tu n’as pas entendu la radio ?
– Je… j’avais oublié ma… non ! j’ai bien entendu, je viens débrancher ce qu’il y a à débrancher !
– … ça fait plaisir de te voir ici, » lui répond Françoise le visage rassurant.
« – Viens, nous avons déjà commencé.
– Nous ?
– Oui, pendant que nous terminons les préparatifs sur l’aéroport, deux camarades nous attendent en bas pour aller s’occuper de la jonction avec le réseau espagnol. Ca y est, j’ai terminé ! Tu viens ? »
Émilie suit Françoise pour se rapprocher des fenêtres qui s’obscurcissent au fur et à mesure que les zones de l’aéroport s’éteignent.
Alors qu’Emilie regarde les étoiles offertes à sa vue par l’obscurité, la main dans celle de Françoise, elle se sent enfin la confiance et la force d’être le modèle de résistance que sa fille mérite.
NB : récit notamment inspiré par le piratage des ondes de France Inter au second tour des élections présidentielles 2022 : https://youtu.be/GFXvTclUUBE