À vue d’oreille

Récit imaginé par Valérie, Claire, Bastien et Ethan et facilité par Hélène Chesnel et Lauriane Pouliquen-Lardy dans le cadre de l’atelier futurs proches réalisé le 10 mai 2023 en partenariat avec Open Lande.

Thème de l’atelier :  Et si, en 2050, Nantes avait réussi sa transition écologique ?


12 mai 2052

Me voilà prêt à partir.

Moi qui ai aimé cette belle et chaude ville de Montpellier, je dois aujourd’hui la quitter. Ce n’est pas par choix, toute la métropole a été déclarée « première ville climatiquement inhabitable de France ». Un titre dont on se serait bien passé…

Mais tout va mieux depuis que je sais que je vais pouvoir revenir en ma Nantes natale. On m’a dit qu’il y faisait plus frais qu’ailleurs et qu’on s’y adaptait mieux face à toutes ces crises sans fin.

J’en garde le souvenir du calme des petites ruelles, de la fraîcheur des parcs et du tintement prévenant du tramway. Quelque chose que je ne pourrai pas revoir depuis que j’ai perdu la vue, mais je suis certain que je reconnaîtrais cette ville qui a fait mon enfance, même la soixantaine passée. C’était le choix de raison pour ma migration climatique : retrouver cette ville que j’ai dans la peau autant que dans la poche, celle où mon handicap s’effacera de lui-même.

*

15 mai 2052

Je sors de la gare à tâtons. Heureusement que je me souviens où se trouve ce bon vieux tram !

Pourtant, à vue d’oreille, quelque chose a changé. Mais je ne saurai pas dire quoi…

Peu importe, le tram m’amène vers Place Royale, là où j’espère renouer avec un bon café à la nantaise. Je profite du bref temps de trajet pour me replonger dans mes souvenirs : la belle fontaine gorgée d’eau, le bruit des passants, le charme brut des pavés centenaires. 

Ça y est, les portes s’ouvrent, alors que la petite voix me le confirme : « Arrêt, Ancienne Place Royale ».

Je me précipite en dehors de la rame comme l’enfant que j’étais, trop heureux de retrouver ce cœur battant de la ville que je chéris tant !

Surprise, ce n’est pas ce que j’imaginais : j’entends les oiseaux qui rivalisent dans leurs vocalises, les nuées d’insectes qui bourdonnent près de mes oreilles,  une agitation qui me rappelle le ballet feuillu d’arbres pris dans le vent. Pire, pas de clapotis de ma chère fontaine à l’horizon ! Est-ce que je me suis bien arrêté au bon endroit ?

Je tente l’aventure en avançant avec prudence, pour essayer de retrouver mes marques.

Le doute se renforce : le bruit de mes pas ne résonne pas sur les vieux pavés comme attendu, mais est comme étouffé par le sol. Je m’enfonce, littéralement ! Est-ce que ce serait de la mousse ?

Pas le temps d’y réfléchir, la vérité me frappe au visage. Cette vérité prend la forme d’une branche, ici, en plein milieu de la Place Royale, venue à ma rencontre pour me souhaiter brutalement la bienvenue !

La surprise et la douleur passées, je me revois pester à haute voix : où est-ce que je suis là ?

Une réponse ne se fait pas attendre et tonne derrière moi : « Mais Monsieur, vous êtes à Bois Royal ! ».

Je reste sans mots. La voix se propose de me conduire gentiment à travers ce labyrinthe inattendu jusqu’à trouver ce qu’il reste de la place enserrée dans la végétation et ses cafés. Je me fais la promesse que la prochaine fois que je viens sur cette place, j’éviterai les obstacles de ce qu’on m’apprend être une forêt urbaine. Nantes, ville végétalisée certes, mais pas tout à fait accessible !

*

2 juin 2052

Petite victoire aujourd’hui : j’ai réussi ma première traversée de Bois Royal, sans encombre et sans aide !

Les bruits de tasses qui s’entrechoquent et des discussions animées qui font écho aux oiseaux me confirment que je suis au bon endroit, au café qui me faisait de l’œil.

Mais malgré cette réussite du jour, je dois bien reconnaître que je me sens encore complètement perdu, depuis mon retour à Nantes. Tout semble avoir tellement changé, et pour le mieux, mais j’ai le sentiment de passer à côté.

Un serveur vient à ma rencontre, j’imagine me voyant désorienté, et me demande ce que je cherche.

Je lui fais part de mes difficultés. Nantes est une véritable cacophonie, où se mêlent des bruits de nature et de ville. Naviguer à l’oreille relève parfois du calvaire.

Le serveur m’explique alors les transformations qu’a connues la ville ces trente dernières années pour sa transition écologique.

C’est une de ces rencontres qui transforment une vie : ses premiers indices m’ont permis de mieux comprendre ce qu’est désormais devenue la ville de mon enfance. Sous une véritable canopée urbaine, se mêlent toute sorte d’activités humaines : artisanat, commerces, transport…

Le serveur me propose de le retrouver après son service, pour m’apprendre à décrypter tous ces sons étranges.

Grand bien m’a fait d’accepter cette main tendue !

Pedro, mon ami le serveur, m’a accompagné pendant plusieurs semaines dans mes balades, des canaux de la Petite Hollande aux micro-prairies de Malakoff, pour m’aider à apprivoiser la ville. J’ai désormais un nouveau superpouvoir : je sais maintenant discerner les sons des transitions pour, à vue d’oreille, me dessiner le nouveau visage de Nantes !

*

15 novembre 2055

Je me suis désormais bien réintégré à Nantes, au travers de ses multiples bruits. Je me suis également trouvé une vocation : aider les nouveaux arrivants à s’approprier les transitions de la ville par les sons.

J’ai même tenté l’impossible : me voilà aujourd’hui le premier guide du patrimoine sonore de la ville. Nantes est définitivement la ville de tous les possibles !

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