A cœur ouvert

Récit imaginé par Maïder, Marie, Raphaëlle et Antoine et facilité par Priscille Cadart dans le cadre de l’atelier futurs proches réalisé le 30 mars 2023 en partenariat avec l’ADEME

Thème de l’atelier : Et si la France était neutre en carbone en 2050 dans le scénario 4, pari réparateur ? 


Estelle, 35 ans, chirurgienne depuis quelques années, vit à Annecy depuis toujours. Elle est mariée depuis sept années à Edouard avec qui elle a eu une petite fille. Les évolutions technologiques importantes réalisées sur les dernières décennies ont créé une société déshumanisée, où la majorité des tâches sont effectuées de manière robotisée. L’intelligence artificielle est omniprésente, et notamment dans le domaine de la médecine. Estelle opère les patients à distance avec des instruments qu’elle pilote depuis chez elle. Dans ce cadre, elle n’entretient pas de liens directs avec les patients qui reçoivent toutes les informations au sujet de l’opération par une intelligence artificielle. 

Dans quelques jours, Estelle va réaliser pour la première fois de sa vie une greffe de cœur, opération des plus complexes. 

        Dans la nuit du 13 janvier 2050, une tempête d’une ampleur sans précédent s’abat sur la région Auvergne-Rhône-Alpes. Au petit matin, la foudre s’abat sur Annecy, et touche les bâtiments abritant les serveurs gérant toute l’alimentation du CHU d’Annecy. 

Tous les patients se retrouvent sans assistance, toutes les machines et robots de soin ne sont plus alimentés, plus rien ne fonctionne. L’hôpital se retrouve plongé dans un affolement général rempli des hurlements de détresse des patients. 

Au même moment, Estelle est en pleine opération, une des plus complexes de sa jeune carrière. C’est la panique. Le patient est plongé dans le noir, l’assistance respiratoire est coupée, le rythme cardique du patient n’est plus affiché. L’opération est déjà bien commencée, le torse du patient est ouvert. Estelle n’a plus de réponse du robot opérant le patient. Les bras du robot ne répondent plus et sont arrêtés aux abords du cœur. 

Estelle se rend compte de la situation et sait que le pronostic vital de son patient est engagé. Elle doit agir. 

Estelle doit dans l’urgence se rendre à l’hôpital pour finir l’opération. Malheureusement, sa Tesla autonome n’a plus de batterie. Elle n’a en effet pas pensé à la recharger car elle ne pensait pas avoir besoin de se déplacer prochainement. Elle prend donc son vélo pour se rendre à l’hôpital, elle emprunte la piste cyclable, le trajet s’avère être beaucoup plus long. En raison de la panique générale, de la situation d’urgence, Estelle n’a pu trouver aucun autre chirurgien disponible pour la remplacer sur l’opération, et n’a pas d’autre choix que d’aller jusqu’au bout pour achever ce qu’elle a commencé. 

Après trois quarts d’heure d’efforts intenses à pédaler, Estelle arrive enfin à l’hôpital. Elle n’a encore jamais réalisé d’opération manuelle, et ressent donc un stress intense. L’ensemble des aides soignants qu’elle a alerté avant son départ on pu arriver à temps, et l’attendent en salle d’opération. Le patient, encore sous anesthésie, n’a conscience de rien. Pour la première fois de sa vie, le patient est un être humain incarné, présent sous ses yeux, et non pas une image dans son casque VR (de réalité virtuelle). Le cœur battant à tout rompre, Estelle prend ses scalpels et tente de finir la greffe du cœur. Malheureusement, elle est totalement déroutée car elle n’a pas l’habitude de travailler dans ces conditions.

Son manque d’habileté et le retard pris dans l’opération auront malheureusement, malgré ses efforts désespérés, raison du patient qui finit par décéder. 

Lors de son retour chez elle, Estelle a du mal à se remettre de ce qu’il vient de se passer. Elle aurait pu sauver la vie de cet homme. Lorsqu’elle passe le pas de la porte, le silence est omniprésent. Elle n’arrive pas à penser à autre chose. Malgré tous les inconvénients des nouvelles technologies, elle s’était toujours dit que cela avait l’avantage de pouvoir sauver des vies. La précision et la fiabilité des nouveaux outils n’en sont rien. Rien de plus efficace que sa main n’aurait pu faire. C’est comme si un monde s’écroulait autour d’elle. Plus rien n’a de sens. Maintenant, elle doit annoncer un décès. A une épouse, à une mère, à un fils. Estelle avance lentement vers son bureau, les yeux vides. Elle ouvre son ordinateur, l’application et lance l’appel. L’épouse du défunt décroche. Elle n’a pas le temps de lui dire trois mots que la femme fond en larmes. Elle a compris que c’était la fin. Estelle essaye de trouver les bons mots mais aucun mot n’y fait. L’appel se termine sur des pleurs et Estelle reste impassible. En apparence, elle apparaît froide et compatissante, mais à l’intérieur elle est anéantie. Elle retourne dans le salon et s’assoit devant la télé. Finalement, elle se dit que tout aurait été beaucoup plus simple trente ans auparavant, lorsque tout ne reposait que sur son savoir-faire et que les machines n’avaient aucun impact fondamental sur l’être humain.

A partir d’aujourd’hui, elle n’opèrera plus jamais à distance et se rendra tous les jours à l’hôpital. Les progrès de la technologie ne remplaceront jamais l’homme et Estelle en est désormais consciente.