Robert : de dirigeant à écocitoyen, du SUV au vélo

Récit imaginé par BALAVOINE Thomas, FRANCOIS Jean-Nicolas, ANTOINE Carole, et facilité par Morgane Personnic dans le cadre de l’atelier futurs proches réalisé le 17 novembre 2022 en partenariat avec le One Planet Lab, l’EPER, Objectif Terre et le Réseau transition suisse.

Thème de l’atelier : Et si on réinventait la politique avec des assemblées citoyennes


Un gros SUV se gare en trombe sur le parking de l’entreprise Vazyafon. Robert, la soixantaine dynamique, sort de sa voiture en pestant, il a bien failli écraser un cycliste lors d’un dépassement un peu scabreux. Il ouvre avec fracas la porte du bureau de son assistante, Joséphine, la faisant sursauter, pour lui aboyer les dernières directives dans le cadre du projet Yakafokon suite à son rendez-vous clientèle. Avant qu’il ne disparaisse dans son bureau, Joséphine a tout juste le temps de lui glisser les derniers messages : clients à rappeler, contrats à signer… ainsi qu’une convocation à participer à une assemblée citoyenne de la ville de Sainte-Luce suite à un tirage au sort effectué par la mairie. Déjà ailleurs dans ses pensées, Robert prend machinalement le papier, tout en vociférant « qu’est ce que c’est encore que ces conneries ? ils croient que j’ai du temps à perdre à aller blablater sur la vie de quartier et entendre les gens pleurnicher sur leurs vies misérables ? Je paie suffisamment d’impôts pour que des gens le fassent à ma place ». Puis bougon, il s’enferme dans son bureau pour préparer sa prochaine négociation.

2 semaines plus tard, Joséphine lui rappelle sa convocation à participer à l’assemblée citoyenne de la ville de Sainte-Luce, mettant en avant les conséquences pénales d’une non-présentation. Pas convaincu mais tout de même curieux d’aller constater la déchéance de la commune et son gaspillage d’argent public avec le lancement de cette initiative, Robert profite d’une annulation de rendez-vous pour se rendre à la réunion de lancement de cette assemblée citoyenne. « Laisser les gens décider de leur sort, non mais quelle idée saugrenue! » se dit-il en prenant la route.

Robert a rendez-vous pour cette assemblée sur les mobilités à 18h30 dans la grande salle municipale, il décide d’y aller une quinzaine de minutes en avance afin de prendre ses marques. Sur le trajet, Robert se dit que cette assemblée peut finalement être une opportunité d’influer en faveur de ses affaires. Il pense notamment au projet de pont qu’il souhaite construire depuis plusieurs années, afin d’acheminer plus rapidement le matériel pour ses chantiers. Cette perspective le réjouit. Aux anges, il commence à réfléchir aux arguments qu’il pourrait avancer et même à improviser un plaidoyer au volant de son SUV. Arrivé à destination, il se gare sur le parking à côté d’un amas de vélos. En entrant dans la salle il réajuste sa cravate. Il sent rapidement que tous les regards se tournent vers lui. Peut-être que la cravate était de trop se dit Robert. Il erre dans la salle dévisageant les personnes réunies autour d’un repas partagé. Perdu dans un monde qu’il ne connaît pas il est rassuré lorsqu’on annonce le début de l’assemblée. En s’asseyant, il reconnaît à quelques chaises de lui une de ses employés dont il ne se rappelle plus le nom. Avant le début de l’assemblée, on propose à chaque personne de se présenter et de partager son ressenti sur l’assemblée à venir. Il attend son tour avec appréhension mais avant lui c’est son employée qui se présente. A présent il a son nom : Sophie. Lui ne sait pas trop quoi dire, donnant juste son nom de famille et sa profession de manière expéditive. A la fin de la présentation des quelques quarante présents, les animateurices de l’assemblée présentent le déroulé. A l’ordre du jour figure le projet de pont auquel il tient depuis si longtemps, quelle aubaine! Les autres sujets ne l’intéresse pas vraiment, il observe de loin la discussion sans y prendre part, essayant de comprendre le fonctionnement et les gestes qu’utilisent les participant.es. Quand vient le tour du projet de pont, deux mains se lèvent immédiatement : tout d’abord la sienne, mais aussi celle de Sophie.

On lui donne d’abord la parole. Aguerri aux prises de paroles en public, il explique avec habileté et véhémence pourquoi ce projet est important, faisant passer ses intérêts pour les intérêts de toustes. Dans la salle, beaucoup expriment leur désaccord et notamment Sophie. S’en suit un débat bienveillant, laissant à tout le monde l’opportunité d’exprimer son point de vue, et qui se solde par une opposition de presque toute l’assemblée au projet de pont.

Robert, stupéfait et furieux d’avoir raté cette opportunité, et encore plus à cause d’une de ses employées qui a osé lui tenir tête, fonce comme un pitbull retrouver Sophie à la sortie de l’assemblée. Robert moralise son employée, lui expliquant l’importance du projet pour l’entreprise. Sophie parait fébrile, mais arrive à ne pas totalement se laisser décontenancer. Elle tente d’accueillir avec bienveillance le besoin de sécurité de Robert quant à l’avenir et la pérennité de sa société. Elle hésite quelques secondes, puis de sa toute petite voix, va même jusqu’à formuler quelques idées pour améliorer l’efficacité de l’entreprise, mais Robert a déjà tourné les talons…

Après la première assemblée citoyenne et la discussion avec Sophie, Robert repart dans son quotidien bien chargé. Il assiste à des nouvelles assemblées dans lesquelles il se met volontairement en retrait pour éviter toute confrontation. Ce qui lui laisse le temps d’écouter ses concitoyens. La mixité de l’assemblée (âge, culture, occupation, etc.) fait que les débats sont extrêmement riches. Les consensus ne semblent pas évidents à trouver de prime abord, ce qui conforte Robert dans son idée que c’est une perte de temps. Ceci dit, en écoutant, il entend des points de vue différents qui le travaillent et l’aident à enrichir ses propres idées.
Au fur et à mesure des rencontres, Robert se sent de plus en plus à l’aise dans ce groupe au sein duquel chacun est capable d’exprimer son avis avec respect pour celui des autres. Et il finit par se prendre au jeu ! Après près de 40 ans de carrière, Robert réalise qu’il éprouve du plaisir à partager ses expériences de vie avec ses concitoyens. D’ autant plus qu’il a l’occasion d’améliorer le quotidien de sa ville grâce au pouvoir décisionnel de l’assemblée citoyenne. Bien souvent, les discussions entamées au cours d’une assemblée citoyenne se poursuivent à la maison avec sa conjointe et au bureau autour de la machine à café. D’ ailleurs, l’ambiance change au bureau. Robert demande l’avis de ses collaborateurs sur différents sujets et écoute leurs propositions. Un jour, Sophie qui vit également une transformation personnelle, propose un nouveau projet pour l’entreprise. Celui-ci est plébiscité par plusieurs collègues qui l’encouragent à en parler à Robert.

Sophie prépare sa présentation, prend rendez-vous avec son directeur, et alors qu’elle ne l’aurait jamais fait un an auparavant, lui expose son projet: développer des maisons en matériaux biosourcés locaux. A sa grande surprise, Robert est plutôt optimiste par le projet et propose à Sophie d’être cheffe de projet.

Deux ans plus tard, c’est l’effervescence ! Aujourd’hui a lieu l’inauguration de la première maison biosourcée de Vazyafon. Ce projet proposé et porté par Sophie et ses collègues est un succès à la fois pour l’entreprise et pour la commune de Sainte-Luce qui l’accueille. Robert est rayonnant et félicite chaudement ses collaborateurs. Dans son discours il laisse transparaître des mots inconnus 2 ans plus tôt : « intelligence collective », « co-construction », « bonheur ». Il termine même en disant qu’il commence à penser à la transmission de son entreprise avec un clin d’œil vers ses collaborateurs. Il aura ainsi plus de temps pour se consacrer à la vie citoyenne de sa commune et à sa nouvelle passion pour le vélo !